Thorn le prédateur
bois, ce
n’est pas un mystère. Mais les paysans ignorants, s’ils viennent à tomber
là-dessus, ont vite fait de s’en effrayer, y voyant la marque de quelque
épouvantable skohl des montagnes. Ce que nous avons là, en fait, n’est
rien d’autre que la piste d’un auths-hana.
— L’oiseau que nous cherchons, fráuja ?
Comment un oiseau peut-il laisser de telles traces ?
— Il glisse sur le ventre, faisant traîner à ses côtés
ses ailes déployées. Ce qui laisse tout loisir aux grands esprits de délirer,
comme j’ai toujours pu le constater. Pas de doute, un auths-hana se cache
dans les environs, et pas loin d’ici ; ces traces sont fraîches de ce
matin. Allez, gamin, tu vas prendre mon arc et mes flèches et te mettre en
chasse. Je crains d’être trop faible pour tirer. Je vais redescendre un peu au
soleil, histoire de réchauffer mes vieux os en t’attendant.
Je pris les armes qu’il me tendait et le laissai seul,
emmenant Velox avec moi. Je n’eus pas besoin d’avancer bien loin pour entendre,
avec effroi – Wyrd n’avait pas exagéré –, le hurlement du auths-hana. Du moins pensai-je qu’il devait s’agir de lui. Cet oiseau ayant, à son
amusante façon de se laisser glisser, un comportement atypique par rapport à
ses congénères, je ne fus pas étonné que son cri se distinguât de tous ceux que
j’avais entendus. Pour autant que je puisse le décrire, c’était un tonitruant
mugissement spasmodique, à la fois rauque et puissant, qui se prolongeait de
longues secondes. Je comprenais que les paysans locaux aient pu songer aux
démons de la montagne.
Je descendis de Velox, l’attachai à un buisson et armai mon
arc d’une flèche. J’étais en train de faire mes premiers pas en direction de
l’oiseau, tâchant de crever la neige durcie le plus silencieusement possible,
quand je fus cloué sur place par un autre bruit. Cette fois, c’était à n’en pas
douter le long hurlement du loup, montant derrière moi du bas de la colline,
venu plus ou moins de l’endroit où j’avais laissé Wyrd. Je m’arrêtai, troublé,
car il était étonnant d’entendre un loup hurler au beau milieu de la journée.
Là-dessus, l’ auths-hana poussa une nouvelle fois son cri dévastateur, et
en réponse, le loup émit un nouveau hurlement. Je lançai de part et d’autre des
regards indécis, mais le timbre du loup révélait ou une douleur terrible, ou
une rage vorace, et l’idée qu’il puisse être malade me fit songer à Wyrd, resté
là-bas sans autre arme pour sa défense que sa courte hache de combat. Aussi
abandonnai-je momentanément l’ auths-hana et, laissant Velox attaché là
où il se trouvait, je rebroussai chemin et courus l’arc à la main, bondissant
sur la pente pour aller m’assurer que Wyrd était indemne.
Un peu au-dessous de la limite d’enneigement, je trouvai son
cheval détaché, en train de brouter le peu d’herbe comestible poussant encore à
ces hauteurs. Je me demandai par quel miracle il n’avait pas déjà fui, ni même
manifesté une quelconque nervosité à l’idée qu’un loup rôdât aux environs
immédiats. J’enroulai ses rênes autour de mon bras, mais j’eus beau scruter
tout autour de moi, je ne vis rien derrière les broussailles. Jusqu’à ce qu’un
nouveau hurlement retentisse, bien plus proche, celui-là. Je plongeai dans les
buissons, l’arc bandé, prêt à tirer, et m’approchai du bruit.
C’est ainsi que je tombai sur Wyrd… et que je sentis mes
cheveux se dresser sur ma tête, constatant que c’était lui qui émettait le
hurlement, tel qu’un loup aurait pu le faire, la bouche ouverte dans un angle
impossible et tournée vers le ciel, la langue tendue en train de vibrer,
faisant puiser le son. Pis encore, Wyrd était étendu sur le dos, mais celui-ci
ne reposait pas entièrement au sol. Son corps était arqué et totalement rigide,
tel un arc vigoureusement tendu, et seuls ses talons et sa nuque touchaient
encore la terre, qu’il martelait furieusement de ses poings serrés.
Au moment où j’écartais les dernières branches pour l’atteindre,
il sembla perdre sa rigidité, et son corps retomba à plat sur le sol. Il cessa
son affreux hurlement, ses poings s’arrêtèrent de frapper, et il reposa un
instant tous muscles relâchés, la poitrine encore soulevée d’un halètement
épuisé, comme s’il cherchait de l’air. En un éclair, j’avais suspendu à une
branche les rênes de sa monture,
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