Thorn le prédateur
« jardins royaux » que me montra du doigt
Daila, je ne vis là qu’une résidence bien modeste, comparée par exemple à celle
de l’ herizogo Sunnja de Vindobona. La ville, qui s’étendait de la rive
du fleuve sur la pente douce d’une petite colline, n’en était pas moins plutôt
plaisante à regarder, et on y trouvait de nombreuses places de marché ombragées
d’arbres et égayées de fleurs. Bien qu’elle ne fut pas enclose d’une muraille,
comme l’avait indiqué Théodoric, elle n’avait cependant rien, au dire de Daila,
d’une pacifique bourgade.
— Remarquez, Saio Thorn, m’indiqua-t-il tandis
que nous débarquions, comment chaque résidence, commerce ou auberge a sa porte
d’entrée décalée par rapport à celle de l’habitation d’en face. La chose est
étudiée pour qu’en cas de menace, si l’alarme retentit, les hommes situés dans
chaque maison puissent sortir à toute allure sans télescoper ceux arrivant en
vis-à-vis.
— Ja, approuvai-je. C’est une idée prévoyante.
Je n’ai encore jamais vu ce genre de précaution, même dans une cité. Je veux
dire… – rectifiai-je avec un tact hâtif – dans une plus grande cité
que celle-ci. Maintenant expliquez-moi, Optio, qu’est-il prévu pour
nous ? Sommes-nous censés, vous, les archers et moi-même, loger dans une
auberge locale ?
— Akh, ne. Je vais me rendre en compagnie des
soldats dans le camp militaire situé de l’autre côté de la colline, et nous
prendrons les chevaux. Mais pour votre part, vous êtes maréchal. Vous serez
reçu avec hospitalité par la princesse Amalamena, qui vous hébergera au palais
royal.
Je hochai la tête, et ajoutai d’un ton hésitant :
— Je suis encore novice dans la fonction, vous le
savez. Pensez-vous que je dois me présenter devant la princesse en armes et en
tenue de combat ?
Daila avait du tact, lui aussi.
— Hm-mm… étant donné que vous n’avez pas encore
d’armure taillée à votre, euh… votre stature, Saio Thorn, je
recommanderai plutôt une entrée en tenue ordinaire.
Je décidai de revêtir au moins des habits propres. Pour me
changer en privé, j’emportai mes sacs dans un hangar des docks, et je m’aperçus
que tous mes vêtements, ayant pris l’humidité lors de nos deux passages dans
les gorges montagneuses, empestaient le moisi. Je n’avais pas le temps de faire
sécher tout cela au soleil, et si moite qu’il fût, je sélectionnai le plus joli
vêtement datant de ma période Thornareikhs à Vindobona. Non pas ma toge, bien
sûr, mais une élégante tunique, avec des sous-vêtements, une paire de chausses,
et mes chaussures de ville bouclées à la mode scythe. Je pris soin d’accrocher
à ma tunique mes deux belles fibules en aes ornées de grenats almandins.
Quand je fus entièrement habillé, je sentais encore assez fort le moisi, malgré
une copieuse aspersion de ma fiole d’essence de roses, et mes chaussures
émettaient à chaque pas un fâcheux chuintement spongieux. Je me convainquis
cependant que j’étais suffisamment bien vêtu pour parader honorablement en tant
que maréchal du roi.
Sans autres armes que mon glaive court passé dans son étui,
histoire de montrer qu’il m’arrivait aussi d’être un guerrier, je gravis la
colline en direction des bâtiments royaux. Je remarquai en chemin que la
plupart des passants, les gens que je croisai sur les places de marché et ceux
que je pus voir au pas de porte des boutiques, dans les ateliers de poterie ou
en train de travailler à la forge, étaient soit des femmes, soit de jeunes
garçons, soit des vieillards. J’en déduisis que les hommes de Novae n’ayant pas
suivi l’armée de Théodoric devaient se trouver dans les convois de
ravitaillement partis la rejoindre, ou bien encore cantonnés de l’autre côté de
la colline, là où s’étaient rendus Daila et ses deux archers.
Les terrains du palais n’avaient pas non plus de murs
d’enceinte, mais une épaisse haie percée d’un portail de fer chantourné. La
résidence était gardée par deux sentinelles, les Goths les plus musculeux et
les plus touffus de barbe que j’eusse jamais vus. Entièrement vêtus de leur
armure et coiffés d’un casque, ils portaient chacun une lance contus. Je
marchai vers ces hommes, annonçai qui j’étais et pourquoi je demandais
audience, et leur exhibai la lettre que m’avait confiée Théodoric à l’intention
de sa sœur. Je doutais que ces gardes pussent lire, mais
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