Titus
Néron.
Sabinus l’a entraînée, les prétoriens lui frayant passage parmi la foule qui murmurait : « C’est Poppée, Poppée, l’épouse de Néron… »
Une voix, sans doute celle d’un partisan de Sabinus, l’un de ces hommes que tous ceux qui détenaient le pouvoir payaient pour les applaudir, s’est exclamé :
— Vive le nouveau Néron, vive Sabinus-Néron, et son épouse Poppée !
J’ai fermé les yeux.
Toujours la Bête renaissait de ses cendres.
14
Je n’étais pas le seul à craindre la venue d’une nouvelle Bête.
Sur le Forum j’ai entendu un homme, juché sur une borne, annoncer d’une voix perçante que s’approchait de Rome un pourceau à serres d’épervier. Il plongerait ses griffes dans le corps des hommes. Il lacérerait l’Empire, détruirait ses villes.
— Écoutez, écoutez, la terre gronde, elle tremble de colère !
Et je sentais sous mes pieds le sol vibrer.
Des insulae s’étaient effondrées dans plusieurs quartiers. La foudre avait frappé le temple des Césars. Un bois planté pour célébrer la dynastie née de César et d’Auguste avait dépéri ; tous ses arbres étaient morts. Il n’y aurait plus d’empereur issu de cette lignée et les statues de tous les Augustes, rassemblées dans un temple, avaient été brisées, leurs têtes roulant sur le sol.
Quel serait le nouvel empereur ?
Ce Galba qui avait quitté l’Espagne, mais qui ne semblait pas pressé d’arriver à Rome ?
Il était vieux : plus de soixante-treize ans. Il était laid. Et l’on se souvenait déjà de Néron comme d’un empereur juvénile, mort à trente et un ans.
Fallait-il que Rome soit gouvernée après lui, l’empereur-Apollon, par un petit chauve au corps difforme, portant sur le côté droit une excroissance de chair si volumineuse qu’il ne pouvait la contenir qu’au moyen d’un bandage ?
Un empereur chenu, malade de la goutte, les pieds et les mains tordus, si bien qu’il était incapable d’enfiler une paire de chaussures ou de dérouler un manuscrit ?
Un avare qui ne paierait jamais ce que ses affranchis et Sabinus avaient promis aux prétoriens ?
Un débauché qui n’avait pas l’audace d’un Néron osant épouser Sporus ou Pythagoras, être mari et femme ?
Galba se présentait comme respectueux des usages, refusant d’être femme, et pourtant se choisissant des mâles vigoureux et mûrs. Le premier d’entre eux était cet Icelus qu’il avait affranchi et qui était épilé, poncé, parfumé. Il en allait de même de deux autres affranchis qui, eux aussi, partageaient sa couche. Et ce Vinius et ce Laco étaient, disait-on, des rapaces sans doute pires que Tigellin. C’étaient eux qui avaient protégé l’ancien délateur et préfet du prétoire de Néron en échange de quelques coffres remplis de pièces d’or.
En traversant les quartiers les plus pauvres de Rome, je découvris qu’on y regrettait déjà Néron.
Au bout de quelques jours, certaines des statues de l’empereur défunt, abattues, avaient été replacées sur leur socle. On commençait autour d’elles à célébrer des cultes, des sacrifices.
Un peu à l’écart de ces groupes où l’on répétait que Néron avait survécu, qu’il allait reparaître, j’ai vu des hommes au regard fixe, des femmes aux cheveux cachés par des voiles bleus. J’ai reconnu certains de ceux qui, sur la colline des jardins, puis devant le tombeau, s’étaient approchés d’Acté, l’avaient consolée, puis s’étaient éloignés, évitant la foule, semblant la craindre.
J’ai interpellé un homme qui, vêtu d’une toge blanche, se tenait immobile.
— Tu es un disciple de Christos, lui ai-je dit.
Il m’a longuement regardé.
— Mon nom est Toranius, a-t-il seulement répondu.
— Je t’ai vu auprès d’Acté, tu as regardé brûler le corps de Néron. Tu as vu Acté recueillir ses cendres. Que fais-tu ici avec les tiens ? Tu ne regrettes pas sa mort ? Oublies-tu qu’il a supplicié tes frères en religion ?
Il a posé la main sur mon épaule et m’a entraîné dans une pièce sombre située dans un bâtiment à demi effondré.
— La terre tremble de colère, a-t-il dit.
J’ai reconnu alors l’homme qui, juché sur la borne, avait annoncé d’une voix criarde le courroux de la terre.
— Le monde va finir, a-t-il dit. La Bête est morte, l’Antéchrist a été puni par Dieu, mais d’autres pourceaux apparaissent déjà. La guerre
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