TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA
C'est elle que je crains le plus pour le sort futur de la population canadienne. Elle n'excite ni sa jalousie, ni ses passions. Au contraire elle est plus canadienne qu'anglaise d'intérêt parce qu'elle fait de l'opposition au gouvernement. Au fond, cependant, elle est anglaise de mœurs, d'idées, de langue. Si elle prenait jamais la place des hautes classes et des classes éclairées parmi les Canadiens, la nationalité de ceux-ci serait perdue sans retour. Ils végéteraient comme les Bas-Bretons en France. Heureusement la religion met un obstacle aux mariages entre les deux races, et crée dans le clergé une classe éclairée qui a intérêt à parler français et à se nourrir de la littérature et des idées françaises.
Nous avons pu apercevoir dans nos conversations avec le peuple de ce pays-ci un fond de haine et de jalousie contre les seigneurs. Les seigneurs cependant n'ont pour ainsi dire point de droits, ils sont peuple autant qu'on peut l'être et réduits presque tous à cultiver la terre. Mais l'esprit d'égalité de la démocratie est vivant là comme aux États-Unis, bien qu'il ne soit pas si raisonneur. J'ai retrouvé au fond du cœur de ces paysans les passions politiques qui ont amené notre Révolution et causent encore tous nos malheurs. Ici, elles sont inoffensives ou à peu près, parce que rien ne leur résiste. Nous avons cru remarquer aussi que le paysan ne voyait pas sans peine le droit que le clergé avait de prélever la dîme, et ne considérait pas sans envie la richesse que cet impôt met dans les mains de quelques ecclésiastiques. Si la religion perd jamais son empire au Canada, c'est par cette brèche-là que l'ennemi entrera.
Comme le Français, le paysan canadien a l'esprit gai et vif, il y a presque toujours quelque chose de piquant dans ses réparties. [Un passage du journal de voyage en Amérique (toujours inédit) de Gustave de Beaumont mérite d'être rappelé ici. George Wilson Pierson dans son
Tocqueville and Beaumont in America (p. 335)
l'a rapporté dans les termes que voici : One day Tocqueville and Beaumont were introduced to Jean Thomas Taschereau, † one of the founders of Le Canadien and now a judge on the Court of King's Bench - the only French-Canadian officeholder in the government's employ at Quebec, they were told.
'What's more, it's a "good thing" for him', Beaumont recorded, 'for he has a salary of
25,000
francs. I dined with him at a relative's. In this last-named Canadian I rediscovered the French gayety and the antique customs of our fathers. Since I have been in America, it's only in Canada that I have seen people laugh. At dessert, each one has to sing a song. Good nature, cordiality, you are sure to find these sentiments among the Canadians.'] Je demandais un jour à un cultivateur pourquoi les Canadiens se laissaient resserrer dans des champs étroits, tandis qu'ils pouvaient trouver à vingt lieues de chez eux des terres fertiles et incultes. - Pourquoi, me répondit-il, aimez-vous mieux votre femme, quoique celle du voisin ait de plus beaux yeux ? J'ai trouvé qu'il y avait un sentiment réel et profond dans cette réponse.
Les gazettes françaises au Canada contiennent tous les jours de petits morceaux de littérature en prose ou en vers, ce qui ne se rencontre jamais dans les vastes colonnes des journaux anglais. Cette versification a l'ancien caractère de la versification française. Elle a un tour simple et naïf fort éloigné de nos grands mots, de l'emphase et de la simplicité affectée de notre littérature actuelle, mais elle roule sur de petites ou de vieilles idées.
***
31 août 1831 [Voyages 4 pp. 216-217.].
Nous avons été aujourd'hui avec M. Neilson et un Canadien nommé M. Viger sur la rive droite du Saint-Laurent jusqu'au village de Saint-Thomas situé à 10 lieues de Québec. C'est le point où le Saint-Laurent prend une largeur de 7 lieues, largeur qu'il conserve pendant l'espace de 50 lieues. Toutes les campagnes que nous avons parcourues sont admirables de fertilité ; jointes au Saint-Laurent et aux montagnes du Nord, elles forment le plus complet et le plus magnifique tableau. Les maisons sont
universellement
bien bâties. Elles respirent toutes un air d'aisance et de propreté. Les églises sont riches, mais riches de très bon goût. Leur décoration intérieure ne serait pas déplacée dans nos villes. Remarquez que c'est la commune elle-même qui
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