TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA
s'impose pour établir son église. Dans cette portion du Canada, on n'entend point l'anglais. La population n'est que française, et cependant lorsqu'on rencontre une auberge, ou un marchand, son enseigne est en anglais.
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Mr. Neilson nous disait aujourd'hui en parlant des Indiens : Ces peuples disparaîtront complètement, mais ils succomberont victimes de la hauteur de leur âme. [Ibid., p. 225.] Le dernier d'entre eux se croit au moins l'égal du gouverneur de Québec. lis ne se plieront point à la civilisation, non parce qu'ils sont incapables de faire comme nous, mais parce qu'ils méprisent notre manière de vivre et se jugent nos supérieurs.
Québec, 31 août 1831.
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Remarques générales
1er septembre 1831 [Voyages I. pp. 217-218.]
Nous avons remarqué par les conversations que nous avons eues avec plusieurs Canadiens que leur haine se dirigeait plus encore contre le gouvernement que contre la race anglaise en général. Les instincts du peuple sont contre les Anglais, mais beaucoup de Canadiens appartenant aux classes éclairées ne nous ont pas paru animés, au degré que nous croyions, du désir de conserver intacte la trace de leur origine, et de devenir un peuple entièrement à part. Plusieurs ne nous ont pas paru éloignés de se fondre avec les Anglais, si ceux-ci voulaient adopter les intérêts du pays. Il est donc à craindre qu'avec le temps et surtout l'émigration des Irlandais catholiques, la fusion ne s'opère. Et elle ne peut s'opérer qu'au détriment de la race, de la langue et des mœurs françaises.
Cependant il est certain :
1) Le Bas-Canada (heureusement pour la race française) forme un État à part. Or, dans le Bas-Canada la population française est à la population anglaise dans la proportion de dix contre un. Elle est compacte. Elle a son gouvernement, son Parlement à elle. Elle forme véritablement un corps de nation distinct. Dans le Parlement composé de quatre-vingt-quatre membres, il y a soixante-quatre Français et vingt Anglais.
2) Les Anglais jusqu'à présent se sont toujours tenus à part. Ils soutiennent le gouvernement contre la masse du peuple. Tous les journaux français font de l'opposition, tous les journaux anglais sont ministériels, à l'exception d'un seul,
the Vindicator,
à Montréal, encore a-t-il été fondé par des Canadiens.
3) Dans les villes, les Anglais et les Canadiens forment deux sociétés. Les Anglais affichent un grand luxe ; il n'y a parmi les Canadiens que des fortunes très bornées ; de là, jalousie, tracasseries de petite ville.
4) Les Anglais ont dans les mains tout le commerce extérieur et dirigent en chefs tout le commerce intérieur. De là encore jalousie.
5) Les Anglais s'emparent tous les jours de terres que les Canadiens croyaient réservées à leur race.
6) Enfin les Anglais se montrent au Canada avec tous les traits de leur caractère national, et les Canadiens ont conservé tous les traits du caractère français.
Il y a donc fort à parier que le Bas-Canada finira par devenir un peuple entièrement français. Mais ce ne sera jamais un peuple nombreux. Tout deviendra anglais autour de lui. Ce sera une goutte dans l'océan. J'ai bien peur que, comme le disait M. Neilson avec sa franchise brusque, la fortune n'ait en effet prononcé et que l’Amérique du Nord ne soit anglaise.
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2 septembre 1831. [Voyages I, pp. 218-219.]
Nous avons vu un très grand nombre d'ecclésiastiques depuis que nous sommes dans le Canada. Il nous a semblé qu'ils formaient évidemment la première classe parmi les Canadiens. Tous ceux que nous avons vus sont instruits, polis, bien élevés. Ils parlent le français avec pureté. En général ils sont plus distingués que la plupart de nos curés de France. On voit dans leur conversation qu'ils sont
tout canadiens. Ils
sont unis de cœur et d'intérêts à la population et discutent très bien ses besoins. Ils nous ont paru cependant en général avoir des sentiments de
loyauté
envers le roi d'Angleterre, et soutenir en général le principe de la légitimité. Cependant l'un d'eux me disait : Nous avons tout à espérer maintenant, le ministère est démocrate.
Ils font aujourd'hui de l'opposition, ils feraient certainement de la
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