TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA
qu'on peut facilement cultiver (le prix de la main-d’œuvre est 3 francs dans les villes, moins dans les campagnes.
La nourriture est très bon marché. Le paysan canadien fait lui-même tous les objets de nécessité : il fait ses souliers, ses habits, toutes les étoffes de laine qui le couvrent Ge l'ai vu).
D. - Pensez-vous que des Français pussent venir s'établir ici ?
R. - Oui. Notre Chambre des Communes a passé une loi il y a un an pour abolir la législation
d'aubaine.
Au bout de sept ans de résidence, l'étranger est Canadien et jouit des droits de citoyen.
Nous allâmes voir avec Mr. Neilson le village de Lorette à trois lieues de Québec, fondé par les jésuites. Mr. Neilson nous montra l'ancienne église fondée par les jésuites et nous dit : La mémoire des jésuites est adorée ici. Les maisons des Indiens étaient fort propres. Eux-mêmes parlaient le français et avaient une apparence presque européenne bien que leur costume fût différent. Presque tous sont de sang mêlé. Je m'étonnais de ne pas les voir cultiver la terre. Bah ! me dit Mr. Neilson, ce sont des gentilshommes que ces Hurons-là, ils croiraient se déshonorer en travaillant. Gratter la terre comme des bœufs, disent-ils, cela ne convient qu'à des Français ou des Anglais. lis vivent encore de la chasse et des petits ouvrages que font leurs femmes.
D. - Est-il vrai que les Indiens aient une prédilection pour les Français ?
R. - Oui, c'est incontestable. Le Français qui est peut-être le peuple qui garde le plus en définitive sa trace originelle, est cependant celui qui se plie le plus facilement pour un temps aux mœurs, aux idées, aux préjugés de celui chez lequel il vit. C'est en devenant sauvages que vous avez obtenu des sauvages un attachement qui dure encore.
D. - Que sont donc devenus les Hurons qui ont montré un attachement si constant aux Français et ont joué un si grand rôle dans l'histoire de la colonie ?
R. - Ils se sont fondus peu à peu. C'était cependant la plus grande nation indienne de ce continent. Elle pouvait mettre jusqu'à 60.000 hommes sous les armes. Vous en voyez le reste. On pense que presque tous les sauvages de l'Amérique du Nord ont la même origine. Il n'y a que les Esquimaux de la baie d'Hudson qui appartiennent évidemment à une autre race. Là, tout est différent : langue, canots... je vous parlais tout à l'heure de votre aptitude à devenir sauvages. Nous avions surtout au Canada une race d'hommes maintenant presque éteinte qui excellait sur ce point. C'étaient les agents du commerce de fourrures connus sous le nom de Voyageurs. Ils se recrutaient dans toute la population. Je ne crois pas que l'intrépidité et l'esprit d'aventure aient jamais été poussés si loin.
Ils étonnaient et subjuguaient les Indiens eux-mêmes dans leurs forêts.
Mr. Richard, curé catholique, est envoyé au Congrès par une population protestante. [Voyages I, pp. 231-232.] Mr. Neilson, protestant, est envoyé aux Communes du Canada par une population catholique. Ces faits prouvent-ils que la religion est mieux entendue ou que sa force s'épuise ? Ils prouvent, je crois, l'un et l'autre.
27 août.
***
28 août 1831. [Voyages I, pp. 213-214.]
M. Neilson est venu nous chercher aujourd'hui pour nous mener voir le pays. (Quant à M. Neilson, son caractère et sa position, voyez la conversation.) Le résultat de cette promenade a été on ne saurait plus favorable à la population canadienne. Nous avons trouvé des terres bien cultivées, des maisons qui respirent l'aisance. Nous sommes entrés dans plusieurs.
La grande salle est garnie de lits excellents, les murs sont peints en blanc. Les meubles très propres. Un petit miroir, une croix ou quelques gravures représentant des sujets de l'Écriture Sainte complètent l'ensemble. Le paysan est fort, bien constitué, bien vêtu. Son abord a la cordialité franche qui manque à l'Américain. il est poli sans servilité et vous reçoit sur le pied de l'égalité mais avec prévenance. Ceux mêmes chez lesquels nous avons été avaient dans leurs manières quelque chose de distingué qui nous a frappés. (Il est vrai qu'on nous conduisit chez les premières familles du village.) Au total, cette race d'hommes nous a paru inférieure aux Américains en lumières, mais supérieure quant aux qualités de cœur. On ne sent ici
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