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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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une lettre qui ne doit pas être publiée, le bruit ne manquerait pas de se répandre, votre position étant maintenant officielle, que j'ai fourni des renseignements sur le Canada au gouvernement anglais, ce qui serait mal interprété par bien de gens, attendu surtout que j'appartiens à la race de l'un des deux peuples qui semblait vouloir entrer en lutte.

        Je n'aurais donc pu vous envoyer qu'un article de journal, mais ici un autre ordre de difficultés se présente : à l'heure qu'il est, c'est une tâche très délicate que celle de traiter la question du Canada devant un public anglais, quand on est Français. Vous comprenez cela sans que je le développe. D'une autre part, vous sentez qu'il ne me convient pas de fournir pour une pareille matière des à peu près, quelques mots de ces notions vagues et générales qui peuvent rendre une lettre intéressante, mais qui ne sauraient suffire à un article signé. Or, je ne pourrais vous fournir que des notions de cette espèce, car il y a six ans passés que j'ai quitté le Canada, je n'ai fait à cette époque que l'entrevoir en quelque sorte ; depuis je n'ai aperçu que de très loin ce qui s'y passait, n'y ayant pas conservé une seule correspondance ; en faisant ce que vous désirez, je risquerais donc de compromettre ma position sans vous être utile.

         

        Voilà, mon cher ami, ce qui m'empêche de satisfaire à votre demande, je me bornerai donc à vous dire d'une manière générale et de vous à moi seulement, que la situation actuelle du Canada me paraît un fait extrêmement grave qui mérite d'attirer l'attention toute particulière de vos législateurs. Les Canadiens forment un peuple à part en Amérique, peuple qui a une nationalité distincte et vivace, peuple neuf et sain, dont l'origine est toute guerrière, qui a sa langue, sa religion, ses lois, ses mœurs, qui est plus aggloméré qu'aucune autre population du nouveau monde, qu'on pourra vaincre mais non fondre par la force dans le lieu de la race anglo-américaine. Le temps seul pourrait amener ce résultat, mais non la législation ni l'épée. Àl'époque de mon passage, les Canadiens étaient pleins de préjugés contre les Anglais qui habitaient au milieu d'eux, mais ils semblaient sincèrement attachés au gouvernement anglais qu'ils regardaient comme un arbitre désintéressé placé entre eux et cette population anglaise qu'ils redoutaient. Comment est-il arrivé qu'ils soient devenus les ennemis du même gouvernement ? Je l'ignore, mais j'ai peine à croire que l'admi­nistration coloniale n'ait pas quelques grands reproches à se faire, sinon pour le fond des choses au moins pour la forme. Cette position de l'Angleterre me paraissait singulièrement heureuse alors, à ce point que j'étais porté à croire que votre nation ne devait de garder encore la possession du Canada qu'à cette co-existence de deux peuples différents sur le même sol. S'ils n'y avaient eu que des Anglais, ils n'auraient pas tardé à devenir des Américains. Comment avez-vous perdu cette position particu­lière et favorable ? Je ne le sais pas.
        En résumé, mon cher ami, méfiez-vous de ce que les Anglais établis au Canada et les Américains des États-Unis vous disent de la population canadienne. lis ne la voyent qu'à travers d'incroyables préjugés et ils perdront le gouvernement qui ne verra lui-même que par leurs yeux. Tenez pour constant que si la guerre civile du Canada devenait jamais une lutte complète et prolongée de race à race, la colonie serait perdue pour la Grande-Bretagne. Les Canadiens sont très inférieurs à leur voi­sins dans l'art de produire la richesse ; ce sont des commerçants et surtout des pion­niers moins entreprenants qui seront tôt ou tard enveloppés et resserrés dans de certaines limites par les hommes de race anglaise. Mais il n'en forment pas moins une peuplade énergique, susceptible d'enthousiasme, de dévouement, d'efforts violents et soudains, chez laquelle les traditions des guerres d'Amérique existent toujours et qu'on ne forcera jamais à rester pendant longtemps, malgré elle, attachée à la métro­pole. Le grand point est donc de la lui faire vouloir.

        Telle est, mon cher ami, en gros et pour vous seul, mon impression générale sur la crise actuelle.

        Maintenant, passons à autre chose.

         

1847 [Remarques incidentes sur le rapport Durham]

        La centralisation des affaires à

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