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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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hardies, osées […].
    Toutes les pièces relatives à l’« héritage Lautrec » étaient réunies dans une grande chemise en toile noire que Cantarel détaillait à présent avec la curiosité d’un entomologiste. Ainsi, peu à peu, il prenait la pleine mesure des œuvres accumulées en cinquante ans dans ce gigantesque palais épiscopal. Autant de peintures, d’affiches, de dessins, que le Louvre et les musées nationaux avaient poliment mais fermement refusés au lendemain de la mort du peintre maudit, héritier d’une aristocratie de province qui avait engendré guerriers, chasseurs et bien peu de curés.
    Il avait fallu que le quotidien toulousain La Dépêche du Midi organisât en 1907, dans son hall, une exposition rendant hommage à son illustrateur occasionnel, mais aussi à sa « peinture de genre », pour que le Midi garonnais prît enfin conscience des mérites de l’enfant du pays. C’est alors que le cousin du peintre, Gabriel Tapié de Céleyran, avec l’indéfectible soutien de Maurice Joyant, saisit la Ville d’Albi afin qu’un département Toulouse-Lautrec fût créé au sein du musée archéologique du palais de la Berbie. Le projet n’allait pas de soi. Certes Henri de Toulouse-Lautrec avait vu le jour dans la préfecture tarnaise, un soir d’orage disait la légende, mais sa réputation, longtemps après sa mort, restait très sulfureuse. Cette infirmité de la nature avait certes eu un sacré coup de crayon et son pinceau était un véritable scalpel, mais tout de même : pouvait-on réellement tout montrer de son œuvre ?
    Pendant quinze ans, il avait couché sur le papier ou la toile les plus crus plaisirs de la vie. L’ancienne résidence des évêques d’Albi était-elle prête à les accueillir ? Il fallut lever bien des réticences. À la fausse image du peintre maudit, les partisans de Lautrec opposèrent celle, plus proche de la vérité, faisant du peintre albigeois un acteur et surtout un témoin des lieux dits de divertissement. Du Moulin Rouge au théâtre et au caf’conc’, des maisons closes au cirque ou aux champs de courses, Lautrec plaquait sur son chevalet des images ne concédant rien au bon goût et aux bonnes manières d’alors. La province, corsetée dans ses pieuses traditions, était-elle encline à mettre en scène une œuvre que les grands musées nationaux avaient refusée ?
    Gabriel Tapié de Céleyran et Maurice Joyant, prêts à se défaire de leurs collections personnelles, surent trouver les bons arguments et, le 30 juillet 1922, était inauguré en grande pompe le musée d’Albi.
    Le « nabot boitracaillant », comme le surnommaient ses détracteurs parisiens, faisait enfin son entrée au musée de sa ville natale sous une pluie d’éloges.
    Sous les yeux de Cantarel, sur trois feuillets, s’étirait l’allocution prononcée par Maurice Joyant sur le parvis du musée :
    « Lautrec peindra des portraits, n’admettant le paysage que comme un accessoire de la figure. Certes, il n’eût souvent désiré que peindre grandes dames, duchesses, artistes en renom – mais, dès l’abord, un malentendu irréparable naissait, fait, d’un côté, de la peur de n’être pas assez flattées, de l’autre de l’appréhension de l’homme qui craint d’être remarqué comme une curiosité. Et le peintre, alors, retournait à des accueils populaires plus faciles. Il faisait le portrait parce que, après avoir tourné autour pendant des mois, le modèle guigné lui plaisait et cela sans aucune pensée de lucre. Je ne dis pas que les portraits représentent une des bases les plus solides de l’œuvre qui se complète par toute l’interprétation de la vie qui de 1882 à 1901 tourbillonne, s’agite, dans les hôpitaux, les courses, les vélodromes, les cirques, les cafés-concerts, les bals de Montmartre, les théâtres, les endroits où le nu se meut librement, non le nu d’atelier conventionnel […]. Messieurs de la Ville d’Albi, nous confions à votre garde, pour l’éternité, l’œuvre du peintre Toulouse-Lautrec qui deviendra l’objet d’un pèlerinage de tous les amoureux de l’art ! »
    Séraphin Cantarel tirait sur son cigare par petites bouffées régulières. Il savourait autant son cubain que le style de l’époque. Il aurait aimé avoir un Joyant parmi les marchands d’art de la rue de Rivoli. Hélas, galeristes et antiquaires étaient moins enclins à pratiquer la donation au profit de l’État. Autres temps,

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