Toulouse-Lautrec en rit encore
comme surveillant de musée, émettait la plus funeste des hypothèses :
— Moi, je ne serais pas surpris qu’on le retrouve, un de ces quatre matins, noyé dans le Tarn !
Coustot, l’oreille à l’affût, écoutait les propos aigres-doux des quatre hommes qui s’étaient abrités sous le porche du cimetière.
L’orage poursuivit sa course plus à l’est, embarquant dans son sillage nuages de plomb, grondements sourds et quelques arcs électriques prêts à foudroyer les blocs de granite herculéens du Sidobre.
Du sol détrempé transpirait à présent une douce odeur de menthe et de foin coupé. Dorléac et les rares personnes qui avaient accompagné Labatut à sa dernière demeure s’étaient sauvés sans regarder derrière eux.
— Quel triste enterrement ! marmotta le croque-mort qui, à coups de larges pelletées, recouvrait de terre meuble la tombe des Labatut.
Les gardiens dissertaient sur la réouverture toujours ajournée du musée. L’un d’eux proposa d’aller boire un verre à la santé du défunt au Pontié . Tous acceptèrent, sauf le plus jeune des quatre qui regarda sa montre avant de se confondre en excuses. C’était un garçon au crâne rasé dont les grands yeux noirs faisaient oublier son nez aplati de boxeur. Il serra la main de ses collègues avant de s’enfuir. Coustot pressa le pas pour le rattraper.
— Hé, monsieur, excusez-moi de vous importuner, mais j’ai deux ou trois questions à vous poser…
— J’ai pas le temps ! répondit le jeune homme, j’suis attendu.
— Permettez-moi d’insister…
Devant son refus, Coustot s’interposa devant le cadet des gardiens du musée Lautrec.
— Je vous dis que je suis pressé, vous êtes sourd ou quoi ?
— Beaucoup moins que votre collègue Paul Dupuy !
Le gardien considéra alors l’importun avec défiance.
— Vous êtes de la police ?
— Vous ne croyez pas si bien dire ! rétorqua Coustot en arborant sa carte tricolore.
— Que voulez-vous savoir ?
— Paul Dupuy, votre collègue de nuit. Vous le fréquentez parfois ?
— C’est-à-dire ?
— Vous êtes amis ?
— Qu’est-ce que vous insinuez ?
— Rien de particulier, minimisa le commissaire. On m’a dit que c’est lui qui vous a fait embaucher au musée.
— Oui. Et alors ?
— Quand on bénéficie de quelques appuis, c’est qu’on est ami ou… qu’un service en vaut un autre !
— Vous voulez savoir si j’ai couché avec lui ?
— Disons savoir si vous avez eu une liaison autre que professionnelle.
— Je ne suis pas une tante, monsieur le commissaire. C’était juste comme ça, pour voir. Histoire de ne pas mourir idiot !
— Et alors ? persévéra Coustot.
— Notre histoire a duré quelques semaines… Après je suis retourné avec des femmes.
— Il ne vous en a pas voulu ?
— Si, bien sûr, mais je lui ai dit que les mecs, c’était pas mon truc. Et qu’il fallait rester discret sur ce qui s’était passé entre nous.
— Vous croyez que vos collègues sont au courant des mœurs de Dupuy ?
— Non, je ne crois pas…
— Votre liaison remonte à quand ?
— Deux ans tout juste, ce printemps.
— Et, depuis que vous avez coupé les ponts, vous n’avez jamais renoué, juste pour arrondir les fins de mois ?
Le jeune gardien regardait à présent ses chaussures vernies. Coustot lui tendit une Gitane qu’il accepta. Il cala la cigarette au coin de ses lèvres, mit la paume de sa main en protection pour l’allumer, en singeant une attitude mi-virile, mi-désinvolte.
— Nous nous sommes revus quatre ou cinq fois…
— Pour le plaisir ? demanda le commissaire toulousain en plongeant son regard dans celui du gardien qui, pour le coup, avait une vraie tête de boxeur.
— Euh… oui.
— Je croyais que vous préfériez la gent féminine ?...
— L’exception qui confirme la règle, n’est-ce pas, commissaire ?
— À moins que ce ne soit une récompense pour service rendu ?
— Faites-moi passer pour un gigolo tant que vous y êtes !
— Ce n’est pas un métier qui vous est totalement étranger, n’est-ce pas ? rétorqua Fernand Coustot.
Le garçon s’était raidi, baissant les yeux à chaque question embarrassante.
— C’était il y a longtemps, j’avais besoin de thunes !
— Si mes renseignements sont exacts, vous vous faisiez appeler Grégoire, à l’époque ?
Le jeune gardien se taisait.
— Dois-je vous rafraîchir la
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