Toulouse-Lautrec en rit encore
mémoire, monsieur Gérard Dorval ? Pendant longtemps, vous avez négocié vos charmes, pour ne pas dire tapiné, place Renaudel, à Bordeaux, n’est-ce pas ?
— En venant à Albi, je me suis rangé, commissaire !
— Disons qu’ici la clientèle est plus… limitée. C’est en arrivant dans le Tarn que vous avez rencontré Paul ? Vous n’êtes pas resté sourd longtemps à ses avances, c’est le moins que l’on puisse dire !
Des flaques d’eau constellaient l’esplanade du Vigan. Les deux hommes se plaisaient à les éviter en se défiant mutuellement. Au jeu du chat et de la souris, Dorval n’était pas le plus madré. Coustot s’était fait depuis longtemps une spécialité des affaires de mœurs. À Paris, il était dans la « Mondaine ». Depuis, il avait gardé un goût assez prononcé pour les histoires qui trouvent une explication rationnelle au-dessous de la ceinture. Derrière chaque crime, il voyait de l’argent ou du sexe. Et souvent les deux. L’affaire Lautrec n’échappait pas à cette logique implacable.
Comment ce Dorval pouvait-il être totalement étranger à la disparition de Dupuy ? L’avait-il fait chanter ? Était-il complice des voleurs ? Une garde à vue serait-elle susceptible de lui délier la langue ? Certes, son casier judiciaire était vierge, mais il était fiché pour prostitution sur la voie publique à Bordeaux, Toulouse et Perpignan. Coustot convia alors Dorval à la terrasse du Pontié . Le gardien déclina l’invitation.
— Nous nous reverrons très vite, Grégoire, pardon Gérard ! ironisa Coustot. Je vous conseille cependant de ne pas vous évanouir dans la nature. Deux gardiens envolés, un concierge suicidé, cela ferait très mauvais genre !
Dorval esquissa un sourire mièvre.
— Une dernière question. Quels étaient vos rapports, professionnels s’entend, avec Labatut ?
— C’était un chic type !... J’en dirais pas autant de sa bonne femme qui le faisait cocu dans tout Albi !...
— Et ses fils ?
— On les croisait parfois devant la loge, rarement ensemble, mais toujours avec des nanas peinturlurées comme des putes.
— C’est un mot qui sonne mal dans votre bouche !
Le gardien baissa une nouvelle fois la tête.
— Pourquoi, selon vous, Labatut a-t-il mis fin à ses jours ?
— Le vol des tableaux, ça a été la goutte qui a fait déborder le vase… Non content d’être cocufié, d’avoir des enfants branleurs, voilà qu’on était prêt à l’accuser de négligence…
— De négligence ? souligna le commissaire.
— Oui, l’alarme, elle ne risquait pas de se déclencher ! Parce que, tout simplement, elle n’était pas branchée !
— C’est exact, confirma Coustot en évitant une flaque qui reflétait les rondeurs de sa silhouette épaisse.
— Voilà plusieurs jours que Labatut la mettait hors d’usage parce que, la nuit, elle n’arrêtait pas de se déclencher. À chaque chauve-souris qui passait devant l’un des détecteurs, c’était le branle-bas dans tout le musée. Il fallait tout fouiller et ça plusieurs fois par nuit. Alors, avec l’accord de Dupuy, Labatut neutralisait l’alarme. C’est pour cela que les voleurs n’ont pas été inquiétés, entre deux rondes, c’était facile d’opérer !
— Qui était au courant des pratiques de Labatut ?
— Dupuy et moi.
— Et M. Dorléac ?
— Vous pensez bien qu’il n’était pas au parfum, sinon… rétorqua le jeune gardien qui lâchait ses informations comme un indic sachant qu’il sera payé en retour.
— Et Micheline Labatut ? Était-elle au courant ? persista Coustot.
— Comment ne l’aurait-elle pas été ? Quand l’alarme se déclenchait dans la nuit parce qu’un oreillard avait cru bon d’exciter les cellules électriques du système, elle était la première réveillée, croyez-moi ! Pour sûr que son mari lui avait dit qu’il désactivait « l’aboyeuse ». C’est comme ça qu’on avait baptisé l’alarme.
— Vous pensez que Labatut se serait pendu à cause de cette faute professionnelle ?
— Ça, plus les déceptions de la vie, c’était trop pour un seul homme. Il savait qu’il risquait sa place, que M. le conservateur ne lui aurait jamais pardonné d’avoir désactivé le système de détection. Et puis, on ne sait jamais ce qui se passe dans la tête de quelqu’un qui veut se flinguer !...
— Le suicide réussi est le seul péché mortel dont on ne puisse
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