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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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femmes lui envoyaient des icônes, les jeunes filles des fleurs séchées, des hommes de bons repas et du champagne. Vingt ans plus tard, il racontait à ses amis de Paris comment le capitaine de la police, ivre de champagne, levait son verre et lui disait : « A Robespierre ! » Pour s'occuper, il étudiait le polonais et il écrivait une nouvelle, Moumou. C'était une histoire vraie, qui s'était passée dans la maison de Varvara Petrovna, mère de Tourguéniev, et dont celle-ci était l'héroïne.
    Un serf, Guerassime, est employé comme portier par une maîtresse autoritaire et à demi folle de caprice. Ce portier, sorte de monstre sourd-muet, ne peut s'exprimer que par des gloussements inintelligibles et n'a au monde qu'un être à lui, la chienne qu'il appelle, d'un grognement inarticulé, Moumou. Longtemps il est heureux par l'affection de cette chienne, mais un jour les aboiements réveillent la barinia et elle ordonne que le chien disparaisse. Les autres serviteurs, qui connaissent la force redoutable de Guerassime, sont terrifiés.Mais il emmène sa chienne au milieu de la rivière, attache deux briques à son cou, la prend entre ses bras et la contemple encore une fois. « Elle le regardait avec confiance, en agitant doucement sa queue. Il détourna la tête, ferma les yeux, ouvrit les mains. Il n'entendit rien, ni le subit aboiement de la pauvre Moumou, ni le clapotement de l'eau. Il releva la tête. Les flots de la Moskowa suivaient leurs cours et se brisaient sur les flancs de son embarcation. » Là, comme dans les Mémoires d'un chasseur, il n'y avait pas un mot de condamnation, mais le contraste entre la toute-puissance de l'absurde veuve et la touchante beauté de Guerassime formait une critique silencieuse et terrible de l'état social de la Russie.
    Quand son mois de prison fut terminé, Tourguéniev reçut l'ordre d'aller vivre à Spasskoïe et de ne plus quitter son domaine. Cet exil l'attrista. Il avait pris goût à la vie des villes. Il lui semblait affreux de ne plus pouvoir consulter son médecin de Moscou, de ne pas entendre chanter Pauline Viardot si elle venait à Pétersbourg. Mais il eut beau supplier l'Empereur, puis le Tsarévitch, ils furent impitoyables. Tourguéniev a décrit dans un de ses romans son retour vers la campagne natale, retour mélancolique mais non pas sans douceur. « La tête appuyée sur un des coussins, les bras croisés sur la poitrine, Lavretsky regardait les vastes champs qui semblaient venir au-devant de lui et se déployer en éventail; les cytises qui passaient l'un après l'autre; les corbeaux, les pies qui suivaient la voiture d'un œil inquiet et stupide, et les longues bandes couvertes d'armoise, d'absinthe et de sorbier sauvage. Il regardait, et cette paix de la steppe fraîche et riche, cette étendue, cette verdure, ces longues collines, ces talus couverts de taillis de chênes nains, ces petitsvillages gris, ces frêles bouleaux, toute cette nature russe qu'il n'avait pas vue depuis si longtemps faisait naître en son âme des sentiments de joie et en même temps presque douloureux. Sa poitrine lui semblait oppressée, mais cette émotion n'était pas sans douceur. »
    Pour se distraire, il acheta à une de ses cousines, au prix de sept cents roubles, une jeune fille serve, d'une grande beauté, qui se nommait Feoktista. Tourguéniev lui apprit à lire et la garda six mois, maîtresse-servante à Spasskoïe. Il est curieux d'observer que l'amour sensuel restait lié pour lui à ce monde de serves belles et soumises
    ***
    La retraite est-elle ou non un mode de vie qui convient à un romancier? Elle semble dangereuse si, trop complète, elle ne lui laisse rien à observer. Elle est utile lorsqu'il y apporte des matériaux déjà nombreux. Dans le cas de Tourguéniev, elle fit merveille. D'abord il était, à Spasskoïe, moins distrait, moins sollicité qu'à Moscou ou à Saint-Pétersbourg. Autour de lui vivaient des paysans, des propriétaires, qui pouvaient devenir des personnages de romans et qu'il allait oser peindre beaucoup plus hardiment que le monde de Pétersbourg et de Moscou. L'hiver, très dur, le condamnait à rester chez lui. « L'air était rempli de brouillard, la neige fondait à petit bruit ; la maison tremblait, craquait ; les ténèbres blanches tourbillonnaient devant ses fenêtres. » Les dames des environs lui jouaient du Mozart. Il travaillait.
    Il était las maintenant des récits courts comme ceux qui avaient formé les

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