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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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écrivain qui était sur le point de se marier par amour, ilécrivait : « Il est dommage que vous soyez absorbé par un sentiment pour une seule personne 2 . » Un mariage malheureux, expliquait-il, pouvait encore servir un artiste, mais la routine sentimentale d'une union réussie lui était fatale. Toute femme devait être considérée comme une maîtresse possible. C'était de variété que se nourrissait le talent. Pour lui, il ne travaillait bien que lorsque la page était éclairée par le feu d'une nouvelle passion. Il lui arriva plus tard de regretter de ne s'être pas marié, mais il conserva l'idée que toute relation permanente avec une femme est dangereuse pour un artiste. « Je connais le sujet intimement. Je l'ai étudié à fond. Si je ne l'ai pas traité jusqu'ici dans mes œuvres, c'est parce que j'ai toujours évité les thèmes trop subjectifs, qui m'embarrassent. »
    Plusieurs fois, il avait eu l'occasion de se marier. Il avait une certaine beauté, douce et régulière; il était riche; il était amusant. Il pouvait plaire même à une femme frivole. Mais, comme les héros de ses romans, il ne souhaitait jamais la victoire. Une seule personne au monde comptait pour lui, bien qu'il ne l'eût pas vue depuis plusieurs années. Pauline Viardot était venue chanter à l'Opéra de Pétersbourg pendant son exil. Elle n'avait pas offert, hélas, de faire le voyage de Spasskoïe, mais le rêve de Tourguéniev était de retourner vers elle. Il avait même osé, avec un faux passeport, quitter Spasskoïe pour aller la voir à Moscou. Il disait que c'était son destin et qu'il ne pourrait faire autrement que de la rejoindre dès que le Tsar le lui permettrait.
    Il resta encore quelque temps à Pétersbourg « à demi gracié ». La Russie était en guerre avec l'Angleterre et la France. On ne parlait que de la Crimée, de Sébasto-pol.Tourguéniev ne s'en souciait guère. Ce qui l'intéressa le plus dans la guerre, ce furent les récits du siège que publia un jeune officier, le comte Léon Tolstoï, « Avez-vous lu son Sébastopol ? Moi je l'ai lu, j'ai crié hurrah! et j'ai bu à la santé de l'auteur.» Quelques mois plus tard, les deux hommes se connurent. Tolstoï trouva que Tourguéniev jouait de ses cuisses démocratiques, Tourguéniev que Tolstoï parlait trop de son titre de comte. Les nerfs des grands hommes sont souvent à vif.
    ***
    En 1856 la paix fut signée et les Russes purent de nouveau voyager. Tourguéniev obtint un passeport et retourna en France. Bientôt il y vécut de nouveau dans l'ombre de Pauline Viardot. Il avait retrouvé l'Espagnole au dos courbé, aux yeux saillants, à la voix divine, les enfants Viardot, et sa propre fille Pauline 3 Tourguéniev qui ne parlait plus que le français. Le frère de Tourguéniev, Nicolas, qui alla le voir, écrivit à sa femme : « Les enfants Viardot le traitent comme un père, bien qu'ils ne lui ressemblent pas. Je ne veux pas faire de potins. Je crois qu'il y a eu autrefois un lien plus profond entre Pauline Viardot et lui, mais que maintenant il vit simplement avec eux et qu'il est devenu un ami de la famille. »
    La vie, à Courtavenel, était gaie. On lisait à haute voix, on jouait la comédie avec les enfants. Pauline Tourguéniev était charmante en Iphigénie. Naturellement on entendait dans cette maison toute la musiquedu monde, sauf celle de Wagner que les Viardot détestaient. (Ils devaient plus tard changer d'avis sur ce point.) Tourguéniev s'occupait des enfants, écrivait des livrets d'opéra, coupait l'herbe et était « aussi heureux qu'une truite dans un ruisseau clair quand le soleil le réchauffe ».
    Bonheur trouble. Car Tourguéniev aimait M me Viardot et souffrait de vivre « au bord du nid d'un autre homme ». Ses amis russes qui vinrent le voir en France le trouvèrent assez pitoyable. A l'un d'eux, il dit avec désespoir : « Il y a longtemps qu'elle a éclipsé toutes les autres femmes à mes yeux pour toujours. Je mérite ce qui m'arrive. Je ne suis heureux que quand une femme met son talon sur mon cou et m'écrase le nez dans la boue. » Puis il soupira : « Mon Dieu ! Quel bonheur pour une femme d'être laide ! » Tolstoï, après l'avoir vu à Paris, écrivit : « Je n'aurais jamais cru qu'il était capable d'un tel amour 4 . » M me Aksakov avait eu tort jadis de le dire « incapable de passion ». Il est vrai que, lorsqu'une femme dit d'un homme qu'il est incapable de passion, cela veut assez souvent dire qu'il

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