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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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pour la plupart à la noblesse, quelques-uns à d'autres classes, allèrent au peuple. Ingénieurs, médecins, sages-femmes, instituteurs,ils se répandaient dans la campagne, isolés, quelquefois par couples qu'unissait un mariage fictif. Il devait être enivrant de partir seul avec ces belles lycéennes, qui abandonnaient le col de fourrure pour le manteau de l'ouvrière. Ceux qui allaient ainsi au peuple se servaient de leurs connaissances techniques pour gagner la confiance des paysans, puis, cette confiance acquise, ils leur lisaient en les commentant les pamphlets révolutionnaires. Quelques-uns d'entre eux s'habillaient en moujiks pour travailler dans les champs, ou bien s'engageaient dans les fabriques comme ouvriers.
    Tourguéniev, quand il retournait en Russie, était profondément intéressé par ce mouvement. Il n'allait plus dans son pays que pour observer et pour s'occuper de ses affaires, car il n'avait plus l'espoir d'y être admiré, ni même traité en grand écrivain. Le public semblait indifférent à ce qu'il publiait. Il ne faisait que de courts séjours dans les deux capitales, mais allait à Spasskoïe où il retrouvait la vieille maison, explorait le jardin, étudiait ses voisins. Il leur parlait de la France et des Français, expliquait leur façon bizarre de comprendre la famille et l'amour, décrivait aussi les autres Occidentaux et ces incompréhensibles Anglais dont le goût le rendait perplexe. Il racontait que Thackeray pouffait de rire à l'audition d'un vers de Pouchkine qu'il ne comprenait pas. Puis il s'occupait de ses terres. L'intendant était un voleur, les paysans ne valaient pas mieux. Ils coupaient le bois ; ils ouvraient des cabarets. Tourguéniev, tous les ans, donnait une fête où venaient les moujiks, les paysannes en robes rouges brodées d'or. Il fallait aligner sur la terrasse des seaux de vodka. Mais tout en regardant, avec un scepticisme grandissant, danser et boire ce peuple dont, lui disait-on, il fallait attendre la régénération de l'Europe, le maître deSpasskoïe observait avec un intérêt passionné la Russie nouvelle. En 1876, il publia sur elle un roman, Terres vierges, qui irrita encore beaucoup de gens.
    Le héros, Nejdanof, est étudiant et révolutionnaire. Comme Julien Sorel, il est engagé comme précepteur par un grand fonctionnaire, Sipiaguine, qui se croit libéral. Il part pour la campagne. Une nièce de Sipiaguine, Marianne, partage les sentiments de révolte de Nejdanof. Elle désire « aller au peuple » avec lui; elle croit l'aimer. Ils s'enfuient tous deux et trouvent refuge chez un voisin, directeur de fabrique, révolutionnaire lui aussi, Solomine.
    Solomine est un type nouveau chez Tourguéniev. C'est l'homme d'idées avancées, mais pratique, actif, l'homme d'action que jusqu'alors Tourguéniev a cherché en vain en Russie et qu'il croit voir naître dans une nouvelle génération sortie du peuple. Solomine n'a pas d'enthousiasme. Il n'a aucune confiance dans l' entreprise de Nejdanof et de Marianne : « Solomine ne croyait pas à l'imminence d'une révolution en Russie, mais ne voulait pas imposer son avis. Il laissait les autres essayer leurs forces et les regardait faire. Jusqu'à un certain point il sympathisait avec eux, car il était du peuple, mais se rendait compte de l'absence inévitable de ce même peuple sans lequel pourtant rien ne marcherait, de ce peuple qu'il faudrait longtemps préparer, mais d'une tout autre façon et vers un tout autre but. »
    Nejdanof, au contraire, est une fois de plus un rêveur et un mélancolique : « Mais croyait-il à cette œuvre, enfin?... Oh! maudit faiseur d'esthétique! sceptique! murmuraient tout bas ses lèvres. Quel diable de révolutionnaire veux-tu faire ? Ecris des petits vers, mets-toi dans un coin avec tes petites pensées et tes impressions misérables, fouille dans toutes sortes de menues subtilitéspsychologiques, et surtout ne va pas t'imaginer que tes caprices, tes exaspérations maladives et nerveuses, aient rien de commun avec la mâle indignation, avec l'honnête colère d'un homme convaincu ! Oh ! Hamlet, prince de Danemark! Comment faire pour n'être pas ton imitateur en tout, même dans la honteuse jouissance que l'on éprouve à s'injurier soi-même? »
    Nejdanof est épouvanté par l'incompréhension qu'il rencontre : « Voilà quinze jours que je vais "au milieu du peuple", et il serait difficile d'imaginer quelque chose de plus bête que cette occupation.

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