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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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Européen, en aucun des pays de l'Europe il ne se sentait à son aise. En 1870, il occupa pour la première fois sa villa de Baden. La guerre fut déclarée presque aussitôt. Il s'était toujours formé de l'Allemagne une image idyllique, sentimentale. Les vieux Allemands de ses livres étaient, comme le Schmucke de Balzac, touchants et maladroits. Au début de la guerre il trembla pour les Allemands; il voyait déjà la terrible armée de Napoléon III envahissant le pays de Goethe et de Hegel. Quand il découvrit une nouvelle Allemagne, matérielle et forte, implacable, ses sympathies changèrent de camp. Il désapprouva l'annexion de l'Alsace. Ane de Buridan international, il ne pouvait prendre parti : «C'est une chose étrange en de tels jours que de n'être ni un Allemand ni un Français. On devient un spectateur de la tête aux pieds et ce n'est pas toujours agréable.» Ce n'est pas agréable, mais que faire lorsque l'on naquit spectateur ?
    La guerre avait privé les Viardot de leurs revenus ; des leçons de chant furent offertes de Londres à M me Viardot, le ménage y alla et naturellement Tourguénievsuivit. C'était la première fois qu'il faisait un long séjour en Angleterre. La vie lui parut active, mais lugubre. « Aucun Anglais n'a l'idée la plus légère de ce qu'est l'art; ceci est un axiome indiscutable. » Jugement surprenant d'un romancier sur le pays de Jane Austen, de George Eliot, de Dickens, de Thackeray, de Meredith. Mais Tourguéniev, hors de Russie, était injuste. Pour les poètes anglais eux-mêmes il fut sévère et Rossetti lui parut affecté. Il fut surtout frappé par le flegme des Anglais. A Cambridge, il assista à une discussion d'étudiants où la question posée était : « Les communards français méritent-ils la sympathie des Anglais ? » Après avoir écouté avec calme les arguments pour et contre, les jeunes gens qui remplissaient le hall votèrent unanimement contre la motion. « Maintenant enfin, dit Tourguéniev, je comprends pourquoi, vous, Anglais, n'avez pas peur d'une révolution. » Son seul vrai plaisir fut d'aller chasser en Ecosse.
    A la fin de novembre 1871, les Viardot revinrent à Paris et, après un bref voyage en Russie, Tourguéniev les y rejoignit : « Si la famille partait pour l'Australie, je la suivrais là. » Le ménage et l'ami prirent deux appartements l'un au-dessus de l'autre, 48, rue de Douai. Tourguéniev avait trois chambres. Dans son bureau était un divan sur lequel il passait la plus grande partie de la journée. Aux murs il avait accroché un paysage de Rousseau, un Corot, un profil de Pauline Viardot en bas-relief et un marbre représentant la main de Pauline.
    Nous dirons tout à l'heure qui étaient, en ce temps-là, les amis de Tourguéniev : Flaubert, les Goncourt, Daudet, Zola. Il voyait aussi beaucoup de Russes. Il était pour eux à Paris comme un « ambassadeur de l'intelligence ». Il les recevait avec une courtoisiedélicate, généreuse, trop généreuse, car il était incapable de refuser une préface, d'avouer qu'un manuscrit était mauvais, et il compromettait quelquefois son jugement en d'étranges aventures. Mais il avait besoin de tels visiteurs. Ils lui apportaient un air de Russie qui était son oxygène spirituel.
    Tandis que dans l'appartement de Tourguéniev de jeunes Russes parlaient, inlassablement, on entendait, au-dessous, le piano de M me Viardot. Sa voix restait admirable. Le dimanche elle chantait le Roi des Aulnes. Saint-Saëns était au piano. Elle avait cinquante-cinq ans, mais charmait encore ses amis. En 1874 Tourguéniev et Viardot achetèrent ensemble, à Bougival, une maison de campagne : «les Frênes ». Ce fut là désormais qu'il passa ses étés avec les Viardot et leurs enfants.
    Amitié fidèle, mais qui restait mélancolique. Plus il se sentait vieillir, plus Tourguéniev était triste. Il avait l'impression qu'il avait manqué sa vie, aussi bien celle de l'homme que celle de l'écrivain, que c'était fini, que l'expérience unique ne pouvait plus être recommencée : «Me voici de nouveau à mon pupitre et une obscurité plus noire que la nuit voile mon esprit... Le jour vide, sans but, sans couleur, passe comme un moment... Je n'ai ni le droit ni le désir de vivre. Il n'y a plus rien à faire, rien à attendre, rien à souhaiter. »
    Parmi les éléments de cette mélancolie était l'incurable nostalgie des expatriés. « Il suffisait de rencontrer Tourguéniev, dit Paul Bourget, et de

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