Toute l’histoire du monde
les feux dans la nuit et l’amour de la nature. Mais l’objectif de l’éducation soviétique, de celle dispensée par le scoutisme et les mouvements catholiques était de former des hommes (des femmes). Au contraire, les Jeunesses hitlériennes exaltèrent la jeunesse pour elle-même. Elles en firent l’apogée de la vie. Les Grecs anciens admiraient le corps des jeunes gens, mais situaient l’« acmé » de l’existence à soixante ans et préféraient Socrate à Alcibiade. Ils auraient trouvé absurde que les adolescents puissent enseigner quelque chose aux adultes. Ils avaient raison : la jeunesse est belle, dynamique, mais conformiste. Il est très difficile à un adolescent de penser autrement que les copains.
Parce qu’il exaltait l’instinct contre la raison, la nature contre la pensée (une des premières lois promulguées par Hitler fut une loi de protection de la nature), Hitler préférait les adolescents de la Hitlerjugend à Einstein (lequel, en plus, était laid comme Socrate). On peut discerner dans le « jeunisme » contemporain un héritage caché du nazisme. On emprunte toujours quelque chose à ses ennemis.
Le culte de la jeunesse est désespérant pour les jeunes eux-mêmes, qui ne peuvent avancer dans la vie qu’à reculons, les yeux tournés vers ce fugitif instant de leur passé. Le communiste Paul Nizan a raison contre les nazis en ne reconnaissant « à personne le droit de dire que vingt ans est le plus bel âge de la vie ». L’écrivain Robert Brasillach, au contraire, auteur de talent mais adolescent prolongé, a tort, devant les feux de camp, les svastikas (croix gammées) et les étendards claquant dans la nuit du congrès nazi de Nuremberg, de magnifier le « fascisme immense et rouge » et ses « cathédrales de lumière ».
Le nazisme fut religion de haine. En ce sens, le racisme lui était nécessaire. Sans « boucs émissaires », comment haïr ? D’où l’importance stratégique (et fantasmatique) de l’antisémitisme pour les nazis.
Enfin, le nazisme a été exaltation de la guerre, comme jamais la guerre ne fut exaltée, sauf peut-être par les anciens rois assyriens.
Napoléon, « le dieu de la guerre en personne », disait en parcourant à cheval les neiges rougies d’Eylau : « Il n’y a rien de plus triste qu’un champ de bataille. » Pour les SS, le champ de massacre était beau.
La guerre est toujours horrible (même si parfois l’on est obligé de la faire, contre les nazis précisément). Le nazisme a donc été l’une des plus grandes régressions de l’histoire humaine.
Reste à comprendre comment cette régression a pu saisir le peuple allemand, alors le plus civilisé de la Terre. Car il ne faut pas se voiler la face : Hitler a été porté par une immense vague de popularité. Les Allemands, les jeunes en particulier, moururent pour lui avec un enthousiasme digne d’une meilleure cause.
Il y eut certes des opposants, tués, exilés ou déportés (ils peuplèrent en premier les camps de concentration), mais, par rapport à la population, assez peu – beaucoup moins, par exemple, que les Soviets n’en rencontrèrent en Russie. Aucune des explications rationnelles qu’on peut donner à ce phénomène n’est satisfaisante : ni la crise, ni la défaite (déjà vieille de quinze ans en 1933), ni le désir de revanche des Allemands sur le « diktat » du traité de Versailles.
Il y a, de la part de nos contemporains, une très forte volonté de refoulement à l’égard de ce fait regrettable : la grande majorité des compatriotes de Marx, d’Einstein, de Beethoven et de Gœthe soutenaient Hitler. C’est un fait dérangeant, incompréhensible, imprévisible, tragique, irrationnel. Les dirigeants des autres puissances mettront du temps à en prendre conscience, s’obstinant à vouloir traiter le « Führer » comme un dictateur ordinaire. D’ailleurs, la popularité du chancelier fut grande en Amérique. L’aviateur Lindbergh et la haute société de Wall Street l’admirèrent comme une vedette.
Les écoles historiques actuelles nous portent à sous-estimer le rôle des personnalités dans l’histoire : passe encore quand elles ont des côtés positifs, comme Jeanne d’Arc ou Napoléon, mais Hitler ? Hitler qui recombina seul, alors qu’il était SDF, des éléments glanés çà et là dans une bibliothèque publique : socialisme, léninisme, fascisme italien, racisme biologique, antisémitisme,
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