Toute l’histoire du monde
défendre ! Un éphémère empire latin y fut créé, avant que les Byzantins ne s’y réinstallent en 1261 avec Michel Paléologue.
L’Occident catholique a assassiné l’Orient orthodoxe. L’empire grec ne sera plus, après cela, que l’ombre de lui-même. L’Occident a oublié ce jour sinistre et refoulé sa part byzantine (si Belgrade avait été une ville catholique, elle n’aurait pas été bombardée à la fin du XXe siècle). L’orthodoxie se souvient. Il y a là une cicatrice profonde qui explique la réticence des chrétiens d’Orient à s’unir à Rome. D’autant plus que le sac de Constantinople par les croisés fut barbare et sanglant. 1204 est la véritable tare de l’aventure des croisades, sa honte ineffable – et non pas 1099, contre-offensive de la chrétienté unie contre les guerriers turco-arabes.
Les croisades eurent des effets collatéraux bénéfiques en Europe latine. Elles permirent aux rois, qui n’y participèrent que du bout des doigts (à l’exception, redisons-le, de Frédéric Barberousse et de Saint Louis qui y moururent, le premier dans les eaux d’un torrent anatolien en 1190, le second devant Tunis en 1270), de se débarrasser de leurs trop turbulents vassaux. La paix y gagna en Occident, l’autorité royale également.
D’ailleurs, le nouveau monde musulman et le nouveau monde médiéval étaient faits pour s’entendre, les seigneurs turcs ayant la même conception de l’honneur que les chevaliers. Les échanges culturels furent nombreux. L’empereur germanique Frédéric II, qui régna de 1220 à 1250, fit de Palerme sa capitale (loin de l’Allemagne, donc) et admira beaucoup les arts musulmans.
À ce sujet, ne craignons pas de rompre avec les idées reçues orientalistes qui attribuent à l’Islam un rôle exagéré. On ne diminue en rien la grandeur de la civilisation arabe en disant que l’Occident lui doit assez peu. L’Espagne arabe, l’« Andalousie » de Cordoue, fut certes éclatante, et celle de Grenade aussi (en partie d’ailleurs grâce aux juifs). Mais, séparées de la chrétienté par des zones de guerre, elles n’eurent pas l’importance qu’on leur attribue aujourd’hui.
L’influence principale qui ensemença la chrétienté catholique fut celle de Byzance, dont nous refoulons le rôle historique. C’est l’empire d’Orient qui sauvegarda la culture gréco-latine. C’est même lui qui civilisa les Bédouins de Mahomet quand, venus du désert, les cavaliers d’Allah eurent conquis la Syrie et l’Égypte ; car, sans sa médiation, comment ces nomades auraient-ils pu lire Aristote ou Platon ?
En réalité, sur cent informations assimilées par la chrétienté médiévale, la moitié proviennent de l’Église romaine catholique (elle-même influencée par Byzance, près de laquelle s’étaient tenus tous les conciles fondateurs du christianisme), une trentaine de Constantinople (les croisés y contribuèrent grandement, ne cessant de traverser les terres byzantines pour aller en Orient), et une vingtaine seulement de l’Islam – c’est déjà beaucoup. On peut discerner, sous l’exagération du rôle civilisateur de l’Islam, une sorte de « haine de soi » des Occidentaux. En tout cas, cela n’a rien de scientifique.
L’effet le plus important peut-être des croisades fut d’avoir rétabli la prépondérance maritime de l’Occident. Les cités marchandes et leurs galères y prirent une part essentielle. Venise et Gênes surtout. Nous avons évoqué le rôle malheureux du doge de Venise en 1204. Mais, dès le début, les marines italiennes jouèrent dans les croisades un rôle décisif.
Les deux villes sont opposées en tout, à l’image des rivages typiquement méditerranéens qui les abritent. À Gênes, c’est la montagne qui se jette dans la mer ; à Venise, au contraire, c’est la lagune qui inonde les terres plates. Les deux cités furent concurrentes et se firent la guerre (la plus acharnée, la guerre de Chioggia, entre 1378 et 1381, vit les Génois s’installer jusqu’aux abords de la lagune vénitienne), mais Venise finit par triompher. On peut y voir un déterminisme géographique : les calanques génoises séparent les villages, poussant à la dispersion, alors que pour maîtriser les eaux traîtresses de la lagune un pouvoir fort et centralisé s’impose.
Après 1204, Venise domina un véritable empire maritime, une « thalassocratie » : la Dalmatie, Split, Zara, la Grèce et ses
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