Toute l’histoire du monde
renseigné. Il n’y avait ni radio, ni télévision, ni journaux, mais les colporteurs, en même temps que leur pacotille, apportaient les dernières nouvelles. Jeanne s’intéressait davantage à la politique que la plupart des jeunes gens du même âge (seize ans) aujourd’hui. Elle déplorait « la grande pitié du royaume de France ».
Les petites gens fredonnaient ce refrain dans lequel on voit bien où allaient leurs sympathies : « Mes amis, que reste-t-il à ce dauphin si gentil ? » (« Gentil » veut dire ici « aimable » ; il s’agit du dauphin Charles.) Et d’énumérer les rares terres qui n’étaient pas occupées par les Anglais : « Orléans, Beaugency, Notre-Dame-de-Cléry, Vendôme. »
On comprend que la nouvelle du siège d’Orléans par les envahisseurs ait agité le village. Jeanne pensa qu’il fallait aller au secours du dauphin (nom de l’héritier de France : par coutume « seigneur du Dauphiné », comme l’héritier d’Angleterre est « prince de Galles »). Pensée banale, certes, pour une patriote. Mais ce qui est extraordinaire, c’est qu’elle ait cru qu’elle-même, jeune fille de dix-sept ans, pouvait libérer le pays. Cette idée s’imposant à elle (ses voix), elle alla en faire part au châtelain local, le sire de Baudricourt, lequel la renvoya chez son père. Mais elle insista tant et tant de fois (Vaucouleurs est à 10 kilomètres de Domrémy) que le capitaine lui fit donner une petite escorte et un cheval. Avec trois ou quatre chevaliers servants, elle entreprit en février 1429 d’aller rejoindre le dauphin.
Charles séjournait alors au sud de la Loire, à Chinon. Habillée en homme, Jeanne parcourut à cheval (elle montait très bien, comme une fille de notables), discrètement et souvent de nuit – pour échapper aux soldats anglais -, en plein hiver à travers la France occupée, près de 500 kilomètres en trois semaines. Elle arriva à Chinon le 8 mars 1429.
Charles la fit envoyer à Poitiers pour la faire examiner par des sages-femmes (examen de virginité) et des experts. La virginité de Jeanne n’est pas surprenante : elle n’avait que dix-sept ans et avait été fiancée. Son intelligence l’était davantage. Aux juristes du dauphin qui lui demandaient justement : « Si Dieu veut le départ des Anglais, qu’a-t-il besoin de soldats ? », elle répondit :
« Les gens de guerre combattront et Dieu donnera la victoire. »
Finalement, le dauphin se résolut à jouer avec Jeanne sa dernière carte. Elle eut la permission d’accompagner l’ultime armée française à Orléans. Cette armée était commandée par de solides gaillards. Dunois, le Bâtard d’Orléans, le duc d’Alençon, Gilles de Rais furent subjugués par cette jeune fille (« Pucelle », son surnom, veut simplement dire « jeune fille »). Orléans fut délivrée et, le 18 juin 1429, l’armée anglaise écrasée à Patay.
Mais Jeanne avait la tête politique et se rendait compte que la victoire militaire ne suffisait pas à fonder la légitimité du dauphin. Elle convainquit celui-ci d’aller se faire sacrer par l’archevêque de Reims, et l’accompagna.
La délivrance d’Orléans et la figure de Jeanne suscitèrent une espèce d’insurrection générale des paysans. Bien que Reims fut situé en France occupée, les Anglais, se trouvant en difficulté, se replièrent sur la Normandie. En juillet 1429, Charles fut sacré à Reims sous le nom de Charles VII. La partie politique était gagnée.
Dès lors, Charles VII ne protégea plus la Pucelle que de loin. Après avoir pris Compiègne, elle fut capturée par les Bourguignons et vendue aux Anglais. Ceux-ci, voulant la déconsidérer, la firent juger à Rouen comme sorcière. Son procès est l’archétype du procès politique. Jeanne fut brûlée le 30 mai 1431. Elle avait dix-neuf ans. Vingt ans plus tard, Charles VII, qui ne voulait pas tenir son trône d’une sorcière, fit organiser un procès de réhabilitation, au terme duquel la condamnation pour sorcellerie fut cassée.
André Malraux a écrit sur Jeanne une magnifique oraison funèbre :
« Jeanne était très féminine. Elle n’en montra pas moins une incomparable autorité. Les capitaines furent exaspérés par cette péronnelle, qui prétendait leur enseigner l’art de la guerre. Dans ce monde où Ysabeau de Bavière avait signé à Troyes la mort de la France en notant seulement sur son journal l’achat d’une nouvelle
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