Toute l’histoire du monde
l’écrit Clausewitz, qu’il est impossible de conquérir la Russie. Du moins quand son gouvernement ne cède pas et que son peuple résiste. Ce pays est trop grand ! L’armée d’invasion y est fatalement attirée trop loin de ses bases. La Grande Armée s’était perdue dans les neiges (voir Guerre et Paix de Tolstoï).
Napoléon réussit à regagner Paris en traîneau. Une nouvelle conscription – les « conscrits de 1813 » ou les « Marie-Louise », du nom de l’Impératrice – lui permit de mener campagne en Allemagne. D’abord victorieux (Lützen, Bautzen), il fut battu à Leipzig, par suite de la défection des troupes du roi de Saxe, son allié. Le sentiment national des peuples jouait maintenant en faveur des rois et contre les Français. Fichte venait d’écrire son Discours à la nation allemande. Les rois osèrent alors de nouveau envahir la France. Napoléon put mener contre eux, en 1814, sa brillante « campagne de France » (la plus brillante peut-être) – rien n’y fit : le peuple était las, et les maréchaux d’Empire n’avaient plus vingt ans… ils étaient repus.
À Fontainebleau, le conquérant déchu accepta d’abdiquer et gagna l’île d’Elbe, en Méditerranée, qu’on avait daigné lui laisser. Une petite île, après un empire qui s’était étendu de Gibraltar au Niémen et de Naples en Suède…
Le frère de Louis XVI fit son entrée à Paris, le principe d’hérédité ne pouvant jouer qu’en faveur des Bourbons. Chateaubriand, là encore, nous a laissé une description de grand journaliste :
« Le 3 mars 1814, Louis XVIII (on avait réservé le numéro XVII au fils de Louis XVI mort en prison) alla descendre à Notre-Dame. On avait voulu épargner au roi l’aspect des troupes étrangères ; c’était un régiment de la vieille Garde qui formait la haie depuis le Pont-Neuf, le long du quai des Orfèvres. Je ne crois pas que figures humaines aient jamais exprimé quelque chose d’aussi menaçant. Les grenadiers couverts de blessures, vainqueurs de l’Europe, qui avaient vu tant de milliers de boulets passer sur leurs têtes, qui sentaient le feu et la poudre ; ces mêmes hommes privés de leur capitaine étaient forcés de saluer un vieux roi, invalide du temps, non de la guerre, surveillés qu’ils étaient dans la capitale envahie de Napoléon par une armée de Russes, d’Autrichiens et de Prussiens.
« Les uns agitaient la peau de leur front, faisant descendre leur bonnet à poil sur leurs yeux pour ne pas voir ; les autres abaissaient les deux coins de leur bouche dans le mépris de la rage ; les autres, à travers leurs moustaches, laissaient voir leurs dents comme des tigres.
« Quand ils présentaient les armes, c’était avec un mouvement de fureur, et le bruit de ces armes faisait peur. Au bout de la ligne était un jeune hussard à cheval ; il tenait son sabre nu… il était pâle… Il aperçut un officier russe : le regard qu’il lança ne peut se dire. Quand la voiture du roi passa devant lui, il fit bondir son cheval et certainement eut la tentation de se précipiter sur le roi et de le tuer. »
L’histoire de la Révolution semblait terminée. Elle ne l’était pas. Les royalistes au pouvoir se montrèrent si maladroits et si méprisants, n’ayant « rien appris ni rien oublié », que la population française redevint révolutionnaire. Depuis l’île d’Elbe, Bonaparte observait ce revirement. Il attendit neuf mois.
Le 1 er mars 1815, il débarqua en Provence avec les quelques grognards qu’on lui avait laissés et se jeta dans les Alpes. Louis XVIII envoya un régiment pour l’arrêter.
La rencontre eut lieu devant Grenoble. Mais il s’agissait d’un régiment qui avait été sous les ordres de l’Empereur. Jouant le tout pour le tout, Napoléon s’avança seul devant les soldats et leur cria : « Lequel d’entre vous veut tuer son empereur ? » Les soldats le portèrent en triomphe. Le reste de la route vers Paris ne fut qu’une formalité. Ney se rallia. Le roi s’enfuit. Et Bonaparte rentra aux Tuileries dans l’allégresse populaire et aux accents de la Carmagnole . La République impériale fut alors restaurée. On appelle cet épisode les « Cent-Jours ». Les royautés, ne pouvant accepter cela, réarmèrent.
Le 18 juin 1815, Napoléon, malgré une stratégie habile, perdit sa première bataille à Waterloo. Il quitta le champ de carnage dans la nuit et regagna Paris.
Le temps
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