Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
toute leur famille ? Pourquoi seraient-ils demeurés ici à l’abri de toute tracasserie si on voulait maintenant les tuer ? On aurait aussi bien pu le faire à Theresienstadt. Pourquoi enfin leur aurait-on fait construire un camp spécial ? Certainement pas pour les exterminer après son achèvement. Voilà pourquoi ils considéraient ce message funeste comme un bruit sans fondement, ou comme une provocation dans le dessein de les mettre au premier rang d’un soulèvement fomenté par d’autres.
En fin d’après-midi, l’équipe de jour du crématoire revint au camp et, à notre surprise, ne fut pas relevée par l’équipe de nuit. Le feu n’avait donc pas été entretenu dans les fours, et cette constatation me rassura un peu. Si l’exécution était différée, nous aurions ainsi plus de temps pour convaincre les hommes de la situation désespérée dans laquelle ils se trouvaient et les amener à s’engager dans la voie de la résistance.
Malheureusement, les jours qui suivirent s’écoulèrent sans qu’intervienne un changement notable dans la vie habituelle du camp des familles. Par suite, nos avertissements perdirent toute crédibilité et furent même de plus en plus considérés comme une tentative pour précipiter à tout prix des gens paisibles dans une aventure injustifiable et périlleuse. Ce n’était, hélas, qu’un répit et j’appris, par des détenus de la serrurerie, que Katerina Singerova, détenue originaire de Slovaquie, secrétaire de la surveillante S.S. Mandel, avait surpris une conversation téléphonique de cette dernière avec Berlin, conversation faisant état de détails relatifs à la destruction du camp des familles. La nouvelle s’étant répandue rapidement dans le camp, nous tentâmes à nouveau de persuader les infortunés détenus de la gravité du péril qui les menaçait. De son côté, le mouvement de résistance intervint à son tour, les exhortant à se mettre en état de défense. Mais en vain ! Ils n’étaient pas prêts à combattre. Il manquait en outre à leur tête la présence de personnes énergiques et décidées, capables de les entraîner et de les diriger. Il y avait bien Fredi Hirsch, un jeune Allemand aimé de tous, qui avait su gagner le respect et la considération de ses compagnons par sa participation dévouée et exemplaire à l’éducation des enfants et des jeunes gens. Mais ce n’était pas un meneur d’hommes, il n’en avait ni la trempe ni la volonté, et, de plus, manquait totalement d’expérience dans les situations critiques.
Comment expliquer le manque de détermination de ces hommes et leur incapacité à combattre ? Incontestablement, la perspective du massacre des femmes et des enfants, dans le cas d’un soulèvement, les terrifiait. Mieux valait périr tous ensemble dans la chambre à gaz, pensaient-ils, si cette éventualité venait à se réaliser. D’ailleurs, était-on vraiment disposé à les assister et à les soutenir dans cette lutte ? Ils ne pouvaient sérieusement se résoudre à y croire.
Il faut bien reconnaître que l’idée de susciter un mouvement général de rébellion dans le camp pouvait apparaître comme un simple vœu sinon une vue de l’esprit. La mobilisation d’un mouvement de résistance n’était pas aussi simple qu’il le semblait au premier abord. De plus, l’approche de l’armée Rouge donnait maintenant à chacun l’espoir que ses chances de survie augmentaient de jour en jour. Devaient-ils donc, dans cette conjoncture, se précipiter dans un combat désespéré et peut-être sacrifier leur vie pour quelques milliers de juifs tchécoslovaques et une poignée de détenus des commandos spéciaux ? Leurs hésitations étaient compréhensibles, et c’est alors qu’ils se livraient à de cruelles et déchirantes tergiversations que se produisit, quelques jours plus tard, l’irréparable.
On les invita d’abord à écrire à leurs proches parents et à leurs amis, en postdatant les lettres sous prétexte d’envoyer au préalable le courrier à la censure, à Berlin. Puis Schwarzhuber leur annonça qu’une partie d’entre eux devaient être transférés avec leur famille à Heydebreck, dans le cadre d’un programme de travaux. Les déportés juifs d’origine tchèque, environ 3 700 personnes, qui avaient été amenés en septembre de Theresienstadt, furent donc dirigés sur le camp de quarantaine B. II . Bien entendu, il leur faudrait avant tout se rendre aux bains
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