Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
promis aux malades qu’ils iraient également travailler là-bas avec leurs camarades, lorsqu’ils auraient recouvré la santé ? Pourquoi avait-on fait dresser une liste spéciale portant les noms des détenus ayant un métier, en leur promettant qu’ils exerceraient le même à Heydebreck ? Pourquoi les avoir invités, quelques jours plus tôt, à rédiger leur courrier ? Pourquoi enfin les avait-on dirigés sur le camp de quarantaine et leur avait-on remis des rations de vivres pour leur prétendu voyage ? À quoi tout cela rimait-il ? Et que pouvait-on craindre d’eux ?
Ils n’étaient pourtant manifestement pas préparés à résister ni à défendre leur vie. Ne possédant pas d’armes, comment auraient-ils pu le faire ? Toute cette horrible mise en scène était vraiment incompréhensible.
Ils commencèrent alors à se dire adieu. Les hommes embrassaient leur femme et leurs enfants. Certains s’efforçaient de maîtriser leur émotion et de garder leur sang-froid. Les visages étaient inondés de larmes. Des mères se tournaient vers leurs enfants et les caressaient tendrement. Tous heureusement ne réalisaient pas ce qui se passait, même s’ils pressentaient qu’ils se trouvaient dans une situation sans issue. Dans ce climat de tension et d’angoisse insoutenables ils pleuraient silencieusement avec leur mère. Peu à peu, les plaintes s’assourdirent ; les hommes paraissaient arrivés au seuil de l’effondrement, et leur fébrilité s’accentuait d’une manière contagieuse autour d’eux. À la vue de quelques chefs S.S. qui venaient d’apparaître à la porte du vestiaire, parmi lesquels Schwarzhuber et le docteur Mengele, la colère s’empara des détenus qui se trouvaient à proximité d’eux. Soudain leur douleur et leur détresse firent place à la haine envers ceux qui, quelques jours plus tôt leur donnaient l’assurance formelle qu’ils allaient travailler à Heydebreck. Avec une insolence abjecte, leurs bourreaux ne cherchaient même plus à masquer leur cynisme. Ils se tenaient avec arrogance à l’entrée de la salle de déshabillage, considérant la foule sans manifester la moindre pitié, visiblement satisfaits du déroulement de l’opération d’anéantissement.
Après cette monstrueuse apparition, il y eut un moment d’accalmie, puis on entendit des cris venant du vestiaire : « Laissez-nous vivre ! Laissez-nous travailler ! » Quelques voix s’élevaient encore, ultime et poignante expression d’un dernier combat pour la vie ! Mais se rendant bientôt compte que leurs appels n’avaient aucun écho, quelques hommes, dans un dernier sursaut, se ruèrent vers la porte. Leur tentative, hélas, se brisa contre un mur infranchissable d’une cinquantaine de sentinelles qui firent sans sommation usage de leurs armes. D’autres chefs S.S. étaient également rassemblés devant la porte du crématoire ; je reconnus notamment Boger, Buntrock, Kurschuss, Gorges. Après cette tuerie, les S.S. se précipitèrent dans la salle de déshabillage en frappant de nouveau impitoyablement les gens à coups de matraque. Puis ils refoulèrent avec leurs chiens les déportés vers le fond de la salle, en braquant sur eux leurs mitrailleuses.
Complètement désemparés, l’ensemble des déportés étaient maintenant sous l’emprise d’un abattement total et désespéré. Presque tous portaient les marques d’affreuses blessures provoquées par les coups de matraque, les crosses des armes, les coups de feu ou les crocs des chiens déchaînés. Parvenus à l’extrême limite de la résistance morale et physique, sans voix, sans larmes, ils demeuraient complètement pétrifiés, au-delà de toute détresse exprimable. C’est alors que Voss s’avança vers la foule, prostrée et hagarde. Il leva les mains pour l’adjurer de retrouver son calme et prit la parole : « Juifs, que signifie ce tumulte ? Votre heure a sonné et rien au monde ne peut plus vous sauver. Il vous reste cependant encore une chance : si vous êtes raisonnables, je peux vous épargner le pire, à vous et vos enfants. Oui, je peux vous épargner beaucoup de mal ! » insista-t-il.
Quelques têtes alors se relevèrent. Comment fallait-il interpréter ces paroles ? Existait-il encore une chance de salut ? Mais, aussitôt, Voss ajouta : « Tout sera beaucoup plus facile si vous vous déshabillez rapidement et si vous vous rendez ensuite dans le local voisin. À moins que vous ne préfériez
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