Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
chœurs maintenant avaient cessé. On entendait seulement des sanglots étouffés, des plaintes sourdes se transformant en une sorte de complainte déchirante reprise à l’unisson. Soudain, un jeune enfant me fit face. Il paraissait surpris et me regarda curieusement sans dire un mot. Ayant remarqué que j’étais tout seul, il s’adressa à moi d’une voix timide et angoissée : « Monsieur, peux-tu me dire où sont cachés mon père et ma mère ? » Je m’efforçai de le rassurer et je lui dis que ses parents se trouvaient certainement parmi ceux qui se pressaient vers la porte. « Va par là, petit, lui dis-je, en essayant de le tranquilliser, ils t’attendent certainement. » L’ayant suivi des yeux, je remarquai alors qu’un groupe d’environ 15 personnes se formait autour de moi. Certains s’étaient déjà déshabillés, et me dévisageaient d’un air scrutateur. À ma grande surprise, l’un d’eux m’appela par mon prénom. En examinant de plus près ces quelques compatriotes, je reconnus le secrétaire de bloc, Hugo Braun, et le doyen responsable de bloc, le docteur Otto Heller dont j’avais fait la connaissance en accompagnant le commando de la serrurerie au camp des familles.
La décision que j’avais prise de mourir avec mes compatriotes ne pouvait plus se réaliser comme je l’avais pensé. Ceux qui se trouvaient autour de moi me pressèrent en effet de leur expliquer pourquoi je voulais mettre fin à mes jours avec eux. Je les suppliai de ne pas révéler ma présence, car je savais qu’il fallait encore quelque temps pour que la chambre à gaz soit pleine. Les minutes semblaient interminables. On attendait sans doute une autre file de camions amenant un nouveau contingent de victimes. Par la porte ouverte, j’entr’aperçus alors Schwarzhuber et le D r Mengele dressés sur la pointe des pieds, pour observer par-dessus les épaules des sentinelles ce qui se passait à l’intérieur. Lorsqu’ils furent reconnus, des cris et des injures fusèrent de toutes parts : « Assassins ! Vous nous avez trompés, mais vous perdrez quand même la guerre avec votre Hitler ! Alors, l’heure de la vengeance sonnera pour vous tous. Un jour viendra où vous paierez vos crimes ! »
À cette heure décisive de mon existence, comme je regrettais de ne pouvoir disposer des trois grenades à main que j’avais cachées ! Mais j’avais pris la décision d’en finir d’une manière si spontanée, tout s’était passé si rapidement que je n’avais eu ni le temps ni la possibilité de me prémunir pour la circonstance.
Dans la chambre à gaz faiblement éclairée, l’ambiance était oppressante et tendue. Nous savions tous que notre mort était imminente. C’était peut-être désormais l’affaire de quelques minutes. Bientôt il ne resterait rien de nous. J’entendis pourtant encore quelques bribes de phrases annonçant que le jeune Fredi Hirsch, qui s’était dévoué avec tant de sollicitude pour la jeunesse dans le camp des familles, s’était suicidé. Puis, tout à coup, quelques jeunes filles nues se pressèrent autour de moi ; elles étaient toutes dans la fleur de l’âge. Elles demeuraient immobiles, me regardant, sans dire un mot, en proie à un étonnement manifeste. Certaines hochaient la tête et me considéraient d’un air de totale incompréhension. L’une d’elles s’enhardit pourtant et me déclara d’une traite : « Nous venons d’apprendre que tu veux nous suivre dans la mort. Ta décision peut s’expliquer, mais elle est inutile car elle ne servira à personne. À qui penses-tu qu’elle puisse profiter ? Nous savons que nous devons mourir, mais toi tu as encore une chance de t’en tirer. Tu dois rester au camp pour témoigner plus tard de nos derniers moments. Il faut que tu puisses expliquer à tous qu’ils ne doivent se faire aucune illusion. Ils doivent combattre ; il est inutile de mourir ici impuissants. Et toi, si tu survis à la tragédie, raconte au monde entier comment nous avons péri. Une dernière prière : je désire qu’après ma mort, tu retires la chaîne en or autour de mon cou et que tu la remettes à mon ami Sacha. Il travaille à la manutention. Fais-lui part des adieux de sa Jana. »
J’étais abasourdi par tant de courage et de sang-froid en de telles circonstances. Avant même d’avoir pu réfléchir à ma réponse, les jeunes filles surmontèrent mon opposition. Elles m’empoignèrent par les bras et les
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