Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
jambes et me traînèrent littéralement jusqu’à la porte de la chambre à gaz, malgré ma résistance. Puis elles me relâchèrent et me poussèrent dehors de toute leur force. J’échouai au milieu des S.S. qui se tenaient en faction. Kurschuss me reconnut le premier et me frappa aussitôt avec sa matraque. Je tombai à terre et, lorsque je me relevai, une véritable volée de coups de poing m’abattit de nouveau.
Étrangement, quand je repris mes esprits, la volonté de vivre m’était revenue. Je me relevai en chancelant. Kurschuss hurlait : « Espèce de cul, satané scélérat, apprends que c’est nous, et non toi, qui décidons si tu dois vivre ou mourir ! En attendant, en vitesse, aux fours ! » Je reçus encore un coup de poing en plein visage qui me fit trébucher contre le monte-charge dont les portes étaient ouvertes. Je le mis en marche et arrivai dans la salle d’incinération. Mais je n’avais plus la force de marcher. Tout se brouillait dans ma tête. Je sentis que j’allais m’évanouir et plongeai, comme une masse, dans le néant. Lorsque je revins à moi, je me trouvais dans la soute au coke. Quelques camarades m’aidèrent à me relever et me conduisirent jusqu’à la porte qui était ouverte. Ils me conseillèrent d’essayer de reprendre mon souffle, ce que je fis, et essuyai la sueur froide qui me coulait du front. Éperdu, le cœur battant, j’attendais maintenant ce qui allait arriver, mais mes camarades se comportaient comme si rien d’anormal ne s’était passé. Ils s’efforcèrent de me rassurer et, de mon côté, je tentai de me dominer. Je demandai une cigarette, du feu, et essayai, tout en portant mes regards du côté du camp des femmes, de prendre un air indifférent. J’étais cependant sous le coup d’un choc nerveux extrême. Kaminski apparut, il tenta de m’expliquer que je venais d’avoir un accès de dépression, défaillance compréhensible, mais qui ne devait plus se reproduire. Puis il ajouta : « Ne fais pas à nos bourreaux le plaisir d’aller à la mort, surtout maintenant, alors que nous avons tous, plus que jamais, besoin les uns des autres. Tu es encore jeune, tu dois être le témoin de tout ce qui se passe ici. Peut-être seras-tu l’un de ceux qui recouvreront leur liberté dans l’avenir. Allons, maintenant, prends une fourche afin que personne ne te pince à ne rien faire ! » Puis il s’en alla après m’avoir amicalement tapoté l’épaule.
Ces paroles, dites d’un ton ferme et réconfortant, m’avaient tranquillisé et redonné courage. J’étais de nouveau décidé à lutter pour sauver ma vie. Je m’emparais d’une fourche pour remplir une brouette de coke lorsque j’entendis encore une fois le bruit du moteur d’un camion qui pénétrait dans la cour. La deuxième fournée arrivait, accompagnée des cris des S.S. et des aboiements des chiens. Cloué sur place, je n’avais même plus la force d’aller regarder ce qui se passait dans la cour. La vision de la chambre à gaz demeurait gravée en moi. Je revoyais Jana, sa belle chevelure brune. J’étais hanté par son visage aux traits réguliers, son allure élancée, ses yeux qui jetaient des éclairs d’indignation. J’entendais encore ses paroles. Sacha, son ami, qui travaillait à la manutention me dirait qui elle était. Je pensai soudain à lui. Comment allait-il prendre l’affreuse nouvelle ? Mais je n’oubliais pas non plus les camarades du camp qui avaient essayé d’organiser leur évasion et auxquels j’avais promis de remettre, à titre de preuve, des étiquettes collées sur les boîtes de cristaux mortels de cyclon B. Je devais coûte que coûte reprendre le dessus. Peu à peu, ces objectifs et les encouragements de Kaminski me faisaient reprendre le sens des réalités. Ma vie pouvait encore avoir un sens et une utilité. Bien sûr, j’étais jeune encore et manquais d’expérience, mais je pouvais peut-être me rendre utile pour tenter de faire aboutir notre plan de soulèvement.
Oui, j’en étais désormais persuadé, chaque jour, chaque heure, chaque minute que je pouvais gagner sur la mort représentait une chance offerte par la Providence. Ces réflexions sur mes perspectives d’avenir furent interrompues par l’arrivée d’une ambulance arborant l’emblème de la Croix-Rouge afin de mieux camoufler, sous des apparences apaisantes, sa sinistre cargaison de cristaux mortels. Elle s’arrêta à côté de la pelouse, derrière le
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