Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
événements. Il ne nous restait donc rien d’autre à faire que descendre le long d’une mince corde dans le fond de la fosse.
Après avoir fini de donner ses instructions, Moll s’en alla. Les chefs des commandos couraient le long des remblais des fosses d’où ils dirigeaient le travail des détenus. J’avais pu, pour ma part, échapper à la construction des « aménagements techniques » des fosses, mon rôle consistant uniquement à enlever dans des brouettes la terre, que l’on entassait sur les bords.
Moll revint quelques heures plus tard. Il se rendit directement à l’une des deux fosses, descendit alertement et, arrivé dans le fond, courut vers le centre dans un dessein bien déterminé, regardant à droite, puis à gauche en direction du caniveau. Visiblement il paraissait chercher la solution d’un problème épineux. Soudain, il demanda quelques seaux d’eau. S’étant emparé du premier qu’on lui tendait, il s’inclina et projeta l’eau d’un seul élan dans le caniveau. Il demeura immobile un instant dans sa position courbée en observant attentivement le ruissellement de l’eau, puis posa le seau à côté de lui. Je le regardais faire de mon côté avec curiosité du haut de la fosse, mais je compris bientôt que les choses allaient mal tourner. L’eau, en effet, ayant débordé avant d’arriver jusqu’à la citerne située sur le côté latéral de la fosse, reflua lentement et devint stagnante. Alors une tension à peine supportable s’empara de nous. Dans l’attente de sa réaction nous avions les yeux rivés sur lui. Lorsqu’il se rendit compte que l’inclinaison du caniveau était insuffisante, il saisit le seau et le lança sauvagement à la tête des détenus qui se trouvaient à sa portée. Les chefs des commandos, contraints d’imiter leur chef, sautèrent dans la fosse et frappèrent à leur tour avec leur matraque tous ceux qui se trouvaient devant eux.
Il était déjà tard, les commandos de corvée étaient déjà rentrés au camp, mais pour nous, c’était une nuit de travail en perspective. Comme l’obscurité gagnait, on installa des projecteurs pour éclairer les fosses. Moll avait lui-même passé un treillis de monteur et mettait la main à la pâte avec Eckard. À l’aide d’un niveau d’eau, d’une règle d’arpenteur et d’autres outils, il rectifiait la pente du caniveau et surveillait l’ensemble du chantier.
Lorsque tout fut terminé, il se fit apporter une nouvelle fois des seaux d’eau et recommença ses essais. Il demeura immobile quelques secondes penché en avant, observant avec la plus grande attention le mouvement de vidange de l’eau, continuant sa vérification avec le contenu de tous les seaux qu’on lui avait apportés, jusqu’au dernier. Ayant terminé, il courut jusqu’à l’une des deux citernes sur la partie frontale de la fosse et constata cette fois avec satisfaction que l’eau s’était complètement écoulée et qu’elle se déversait normalement dans les réservoirs. Il se dirigea alors avec plus de calme vers la deuxième citerne située du côté opposé, pour s’assurer de la réussite complète de l’essai. Paraissant satisfait, un sourire fugitif glissa sur ses lèvres. Il était visiblement soulagé d’un grand poids. Il avait cependant encore des doutes. Les installations d’incinération allaient-elles fonctionner comme il se l’imaginait ? La graisse bouillante se comporterait-elle comme de l’eau ? « J’en suis convaincu, Herr Hauptscharführer ! » , lui répondit Eckardt en essayant de le rassurer sans toutefois dissiper entièrement ses doutes.
Moll semblait encore hésiter. Scrutant le fond de la fosse, il resta un long moment debout à ruminer ses pensées sans dire un mot. Épuisés, nous attendions avec anxiété ce qui allait s’ensuivre. Il était plus de minuit. Enfin, Moll nous donna l’ordre de retourner au camp. Pour l’instant, nous étions délivrés.
Quelques jours plus tard, il fit creuser à l’arrière du crématoire V trois autres fosses d’incinération. Il avait donc là maintenant à sa disposition cinq fosses. De plus, l’ancienne ferme située à l’ouest des crématoires IV et V, qui avait déjà été utilisée comme chantier d’anéantissement en 1942, fut remise en service sous la désignation de bunker V et on adjoignit aux quatre locaux servant de chambres à gaz quatre fosses d’incinération. Les vestiaires dans lesquels les victimes se
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