Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
ordres. Le silence fut interrompu par un coup de sifflet suivi du commandement : « Les kapos, tous ici ! » et les détenus de fonction vinrent aussitôt s’aligner devant lui pour recevoir ses directives précises. Après ces formalités, Schlojme, un homme de petite taille, le chef de mon équipe, revint vers nous et nous fit savoir que suivant les instructions cinq fosses devaient être creusées dans les huit jours suivants. Moll avait calculé lui-même la quantité de terre que nous devions charrier chaque jour pour ce travail.
Ensuite, on commença la fouille. Il faisait froid, le soleil n’était pas encore levé. Personne ne savait exactement si ces ordres étaient exécutables en si peu de temps ni comment il fallait s’y prendre.
Nous enlevions la terre lourde à la pelle aussi vite que possible et la rejetions par-dessus le bord des fosses, qui devenaient de plus en plus profondes, sous les cris des S.S. et des kapos nous incitant à nous démener. Les cinq chefs de commando S.S. couraient également tout autour de nous, leur matraque à la main, surveillant le rythme du travail, leur fébrilité prouvant qu’ils étaient tout aussi terrorisés que nous par Moll et qu’ils se considéraient comme responsables de la bonne marche des travaux. Plus nous creusions le sol, plus la fouille devenait pénible et au bout de quelques heures je me sentis si épuisé que je crus être arrivé à l’extrême limite de mes forces.
Mes camarades étant tout aussi exténués, je me demandai combien de temps nous pourrions supporter cette cadence de forçat. Je ne voyais aucune solution. Mes camarades non plus. Les méthodes de torture diabolique mises en œuvre par Moll nous obsédaient et nous remplissaient d’effroi. Un après-midi, un bruit de motocyclette retentit dans la cour. C’était Moll qui surgissait dans notre secteur avec son chien dans le side-car. Cela n’annonçait rien de bon. Mais nos craintes se révélèrent sans objet. Moll examina attentivement toutes les fosses, échangea quelques propos avec ses subordonnés, puis à notre surprise, nous donna l’ordre de réintégrer le camp. Complètement épuisés, nous nous rendîmes dans le bloc 13 où nous ne fûmes pas longs à sombrer dans un profond sommeil.
Mais quelques jours plus tard, les sbires de Moll remarquèrent que les travaux étaient en retard sur le programme prévu. Il avait commencé à pleuvoir et nous pataugions dans la boue argileuse. L’évacuation de la terre alourdie par la pluie devenait plus pénible, et ralentissait forcément la cadence. Pour ces raisons Moll fit arrêter le travail sur trois fosses et donna l’ordre de continuer les autres. En quelques jours tout fut terminé. Les deux fosses que nous venions d’achever avaient environ 40 à 50 mètres de longueur, près de 8 mètres de largeur et 2 mètres de profondeur. Mais elles n’étaient pas, pour autant, prêtes à entrer en service. Après l’achèvement du gros œuvre, il fallait s’occuper de l’exécution des détails imaginés par Moll.
Accompagné de son adjoint Eckard, l’ingénieur des travaux de la mort descendit dans le fond de l’une des fosses où il traça deux raies avec un espace de 25 à 30 cm entre elles qu’il prolongea dans le sens longitudinal. Il fallait maintenant creuser à cet emplacement, en suivant son tracé, un caniveau, en pente depuis le milieu de la fosse, vers les deux côtés opposés, pour l’écoulement de la graisse des cadavres au moment de leur combustion ; deux réservoirs placés à l’extrémité des rigoles devaient recueillir cette graisse.
Pour exécuter ce travail on fit descendre dans le fond de l’excavation un groupe de détenus. Équipés de pelles, de bêches, de marteaux piqueurs, de truelles, de briques de ciment et de citernes, ils comprirent bientôt qu’on voulait récupérer la graisse humaine comme combustible pour effacer aussi vite que possible les traces des meurtres. C’était vraiment effrayant ! Indignés mais impuissants, nous assistions tous aux préparatifs de la tragédie dont nous allions devenir contre notre gré les acteurs. N’entendant plus parler du monde extérieur, nous étions comme paralysés et nous sentions, de jour en jour, moins capables de résister. Le moindre refus de travail, d’ailleurs, la moindre hésitation de notre part aurait signifié notre condamnation à mort immédiate sans que cela pût, en quoi que ce fût, modifier le cours des
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