Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
et expressive, comme seuls sont capables de le faire tous les peuples orientaux, une mélodie nostalgique accompagnée du refrain : Marna, son’ tanto felice. Ils rythmaient leurs chansons avec leurs dames, d’autres jetaient infatigablement la cendre avec leur pelle sur les tamis métalliques. La matière qui ne passait pas à travers les mailles était de nouveau pilonnée et pulvérisée jusqu’à ce qu’elle soit tamisée à travers les cribles métalliques. Le bruit monotone du tassement et les chants mélancoliques étaient couverts par le crissement d’une scie circulaire électrique installée sous un toit improvisé à côté du dépôt. Cette scie servait à débiter le bois de combustion pour la fosse.
Un autre commando, dans lequel je fus détaché à plusieurs reprises, devait se rendre deux ou trois fois dans la semaine par camion, sous une stricte surveillance, dans les forêts voisines pour rapporter des branches de sapin et du bois d’allumage.
Quand les affaires abandonnées par les victimes étaient chargées sur des camions, il était strictement interdit aux S.S. de s’emparer de quoi que ce fût. Manifestement, on ne voulait pas les exposer à la tentation de s’enrichir avec des objets de valeur ayant appartenu à la « race ennemie ». Mais, à vrai dire, très peu savaient résister à cet appât. À l’exception de Moll, tous les S.S. en service dans le secteur du crématoire se précipitaient sur l’or, les brillants et les dollars, avec l’avidité du diable sur une âme innocente. Chacun cherchait à attraper tout ce qui lui tombait sous la main.
Mais de notre côté, les nécessités impératives de notre survie nous avaient familiarisés avec l’art de la soustraction et nos mains adroites ne restaient pas inactives. Comme nous étions abondamment pourvus, ainsi que les détenus du camp, de victuailles, notamment de salami hongrois, de graisse d’oie, de marmelade de prunes, nous étions bien placés pour organiser le trafic des valeurs, ce qui nous permettait d’obtenir des armes et des munitions.
De nombreux tas de vêtements et des baluchons d’effets divers traînaient sur le sol bétonné de la salle de déshabillage, le tout parsemé d’étoiles jaunes de David, semblable à un parterre de fleurs. Il fallait cependant se tenir sur ses gardes. Malheur à ceux qui étaient surpris par Moll en possession d’or, de brillants ou de dollars. Ils étaient perdus et leur condamnation à mort immédiate était inévitablement précédée d’actes de sadisme et d’atrocités de sa part.
C’est à cela que je pensais souvent en fouillant dans les vêtements épars sur le sol. Il était certain que si je me faisais prendre par Moll avec des brillants ou des dollars je devais m’attendre au sort de ce pauvre Mendele, chez qui on découvrit un jour des dollars. Moll fit subir à ce malheureux l’une des tortures les plus raffinées de son répertoire dont l’atrocité devait avoir dans son esprit un effet dissuasif total. Mendele fut en effet poussé jusqu’à une fosse dans laquelle gisaient des centaines de squelettes carbonisés. Arrivé au bord de la fosse, Moll prit son pistolet et lui déclara cyniquement : « Normalement je devrais t’abattre, chien de juif ; mais je ne suis pas féroce et je veux te laisser une chance. Je te laisserai la vie sauve si tu cours les pieds nus dans la fosse. » Complètement affolé, Mendele crut probablement entrevoir une lueur d’espoir. Il enleva ses souliers, sauta dans la fosse et poussa un cri déchirant au contact de la fournaise. Son corps se recroquevilla en quelques secondes et Moll lui tira le coup de grâce.
Moll avait sans aucun doute un penchant maladif à pratiquer des tortures perverses dont il semblait se délecter. L’une d’elles consistait à se montrer au crématoire au moment où les candidats à la mort retiraient leurs habits. Il parcourait alors rapidement la salle de déshabillage, tel un inspecteur sanitaire, à la recherche de quelques jeunes femmes nues qu’il poussait dans l’arrière-cour du crématoire jusqu’à une fosse d’incinération. Lorsque les malheureuses voyaient le spectacle, elles étaient frappées d’horreur au point de ne plus savoir ce qui leur arrivait. Éperdues, comme enracinées au sol, elles détournaient instinctivement leur regard de cette abominable vision. Moll, qui observait attentivement leur réaction, semblait jouir intensément de leur angoisse et de
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