Tsippora
de disparaître comme l’eau d’une gourde dans le désert !
Et demain, quand sa gourde sera vide, Moïse sera tout neuf, avec des désirs d’amour
et de femme, comme n’importe quel homme. Ou, plutôt, comme le seigneur dont il
a les manières et qui ne se laisse pas caresser au réveil par n’importe quelles
mains. Pas celles d’une servante, c’est certain. Mais la fille de Jethro !
La plus fine, la plus intelligente, la préférée de son père, ça, c’est autre
chose… Non ! Non, ne proteste pas ! C’est ainsi ! Avale la
vérité comme elle vient, il en est temps. Le regard de Moïse, tu n’as pas su le
voir. Tu es amoureuse, et c’est pire que d’avoir le sang de la lune. On ne sait
plus où est le jour, où est la nuit. Mais moi, qu’Horeb m’en soit témoin, je
l’affirme : Moïse ne s’est pas contenté de s’occuper des enfants depuis
qu’il est avec nous. Il a observé ta peau, tes seins, ta taille et tes fesses
adorables. Il a scruté tes mots et tes silences, ton savoir et ton orgueil. Il
en possède lui-même une bonne part, il a donc pu mesurer le tien en
entier ! Et tout cela lui a plu. Quand il te voit, il ne songe pas à ses
souvenus, j’en mets ma main au feu. Attends son retour, tu le constateras
toi-même.
Mais lorsque la caravane des fils, gendres
et neveux de Jethro fut de retour, vingt jours plus tard, Tsippora ne put
vérifier l’exactitude des propos de Sefoba.
Moïse n’était pas avec eux. À quelques
jours de la cour de Jethro, un matin, à l’aube, il avait disparu.
*
* *
Le soir, Jethro, qui arrivait tout
poussiéreux du voyage qui le ramenait du palais du roi Hour, à qui il avait
déconseillé de se lancer dans une expédition punitive contre des puissants de
Moab qui avaient volé un troupeau de petit bétail et tué trois bergers, fronça
les sourcils.
— Disparu ? Moïse ?
Hobab hocha la tête et but une longue
rasade de bière. Comme tous ses compagnons, le fils de Jethro semblait aussi
assoiffé que s’il avait traversé le désert sans une gourde d’eau à portée de
main.
— Un matin, je suis allé à sa tente,
car je pensais partir chasser avec lui. Nous avions aperçu un petit troupeau de
gazelles zybum les jours précédents, expliqua-t-il en tendant son
gobelet à une servante. Sa tente était vide. Nous l’avons attendu deux journées
entières avant de nous remettre en marche. Tout le monde était impatient de
rentrer.
Il se tut et sourit en regardant la bière
couler de la jarre.
Attendri par le sourire de son fils, Jethro
attendit qu’il ait bu une longue gorgée. Tsippora se mordait les lèvres pour
retenir le cri d’impatience qui naissait dans sa gorge.
Il faisait déjà nuit et, jusque-là, elle
avait dû ronger son frein. Plusieurs fois dans la journée elle avait interrompu
sa tâche, les larmes aux yeux, le souffle court. Les folles pensées engendrées
par la découverte de l’absence de Moïse lui déchiraient le ventre aussi
sûrement qu’une lame de fer. Les servantes lui jetaient des regards inquiets,
parlaient à voix basse lorsqu’elle approchait, ainsi qu’on le faisait avec les
femmes qui pleuraient leurs morts. Deux ou trois fois, Sefoba l’avait enlacée,
serrant ses épaules tremblantes, cherchant des mots qui ne venaient pas. Elle
savait trop bien que Tsippora ne se satisferait pas d’un simple bavardage. Mais
pour en savoir plus, il fallait attendre que Jethro se décide enfin à poser la
question qu’elles attendaient comme une délivrance. Et Jethro, enivré du
bonheur de retrouver son fils, paraissait avoir oublié Moïse.
Depuis le commencement du jour, il se
livrait sans répit au bonheur des retrouvailles avec son fils bien-aimé. Pas un
instant ils ne s’étaient quittés, recevant côte à côte sous la tonnelle le
salut des membres de la maisonnée et de la caravane. À ceux qui revenaient du
long voyage, Jethro posait encore et toujours les mêmes questions :
comment s’était déroulé le trajet, les échanges et le commerce, la vie des
femmes et des enfants, les naissances et les morts ? Hobab appelait un à
un ses compagnons, et chaque fois les salutations recommençaient devant le père
et le fils si semblables.
Ils possédaient le même visage fin, le même
regard incisif. La longue route depuis le pays de Moab, la poussière et le feu
du désert avaient creusé les rides d’Hobab, le vieillissant. On aurait pu
confondre leurs silhouettes. Il n’était guère que
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