Tsippora
Tsippora s’en frotta les poignets,
en huma l’arôme lourd et épicé avant de le glisser dans une pochette de lin.
Sefoba protesta.
— Pourquoi ne pas te parfumer dès
maintenant ? Tsippora eut un rire tendre :
— Moïse n’est pas encore là et je ne
sais quelles sont ses pensées. Mais s’il le faut, mes hanches et mes cuisses
sentiront l’ambre pour lui.
*
* *
Trois jours durant, la cour de Jethro ne
fut que festins, danses, jeux. L’air embauma la cuscute, la coriandre et
l’aneth. Pépiant comme des volées de coulis-coulis, les jeunes servantes
remplirent les grandes jarres de lait aigre et de bière, brassèrent le vin avec
du romarin et du jus de datte. Les plus âgées farcirent d’amandes, de grenades
et de raisins les gazelles tuées dans le désert. On les embrocha sur de longues
piques qui tournèrent sur des foyers lents pendant tout un jour. On alluma dix
autres feux pour cuire des gâteaux de miel dans des hachis de poireaux et de
fenouil, des tourtes gonflées de dattes, d’orge et d’entrailles d’agneaux,
ainsi que quantité de bouillons de kippu et de galettes croustillantes,
dorées au gras de mouton.
Hobab, Sicheved et les forgerons étaient
très fiers de leurs ventes. De l’autre côté des grands déserts du Néguev et de
Chour, à Canaan et à Édom, on craignait désormais les razzias de Pharaon. Sans
marchander les prix, les riches et puissants maîtres des villes de Boçra, Qir
et Tamar avaient acheté armes et bétail. Moïse lui-même, parti avec son mince
troupeau de petit bétail, ne revenait pas les mains vides.
À peine eut-il dressé sa tente sous le
sycomore qu’il se précipita dans la cour de Jethro. Il trouva Tsippora qui
l’attendait devant sa chambre, occupée avec les servantes près du berceau de
Gershom. À revoir celle qui n’était pas son épouse, il en eut le souffle coupé.
Tsippora avait retrouvé toute sa finesse
d’avant la naissance de son fils. De plus, il y avait en elle un calme qui paraissait
mieux dessiner son corps, emplir ses hanches et sa poitrine. Sa chevelure drue,
coupée court, affinait la grâce de son visage, agrandissait ses tempes et la
courbe élégante de ses pommettes. Tout en elle témoignait d’une force nouvelle
et sereine. Jusqu’au sourire de ses lèvres, pleines et paisibles comme si tous
les mots qu’elle avait chuchotés pour calmer les peurs de son enfant les
avaient modelées.
Elle salua Moïse avec un peu de cérémonie
et ordonna aux servantes de s’éloigner avant de soulever Gershom de son lit
minuscule. Pour la première fois, elle le déposa dans les bras de Moïse qui se
mit à rire, ronronna tel un fauve séduit et, finalement, brandit Gershom entre
ses mains, surpris de la taille du petit être qui s’agitait entre ses vastes
paumes.
— Il me semble être parti depuis si
longtemps que mon fils devrait déjà être debout et capable de dire le nom de
son père, se moqua-t-il.
Tsippora hocha la tête. Elle recula sur le
seuil de la pièce. L’embarras était entre eux. Ils ne savaient que faire de
leurs regards, de leurs corps, des mots qu’ils s’étaient murmurés, l’un et
l’autre, dans la solitude de l’attente. Moïse voulut déposer son fils dans son
berceau. Il s’y prit maladroitement et Tsippora l’aida, le frôlant avec un
petit rire qui les fit frémir tous les deux. Précipitamment, Moïse fouilla dans
le sac de toile qui pendait à son épaule. Il en retira une étoffe longue et
étroite. Des bandes pourpres alternaient avec des tissages mordorés, de minces
raies indigo, cuivrées et éclatantes.
— Dans les grandes villes de Canaan, à
Guérar ou Bersabée, les femmes les plus nobles s’entourent la tête de ces
étoffes. Cela leur sied, mais il m’a semblé que leur peau était trop claire.
J’ai rêvé de ton visage et j’ai acheté ce tissu.
Moïse déposa l’étoffe sur les doigts de
Tsippora, qu’il serra aussitôt entre les siens pour les porter à sa bouche.
Tsippora puisa dans toute sa volonté pour résister au désir de se lover contre
lui, de réclamer ses caresses et de respirer dans son cou le parfum presque oublié
de l’amour.
— Va voir mon père, bredouilla-t-elle
d’une voix sans timbre. Il t’attend avec impatience.
Moïse voulut l’attirer contre lui, elle
s’écarta doucement, profitant d’un vagissement de Gershom. Elle s’inclina sur
le berceau d’osier et câlina l’enfant d’un début de chanson. Relevant
Weitere Kostenlose Bücher