Tsippora
la montagne d’Horeb.
— Pas même ces roches, ces cailloux et
cette poussière stérile que tu prends pour ton dieu, Jethro !
D’un pas qui claqua contre sa tunique, il
disparut à l’autre bout de la cour, soudain saisie par le silence. Sicheved,
stupéfait et choqué, fit mine de se lever.
— Il ne peut dire une chose
pareille !
Jethro, d’un geste tranquille, lui ordonna
de se rasseoir.
— Il crie et grince comme une porte
qui souffre d’être mal ajustée, sourit-il avec tendresse. Il refuse encore de
comprendre que c’est toute la construction dans laquelle il a fixé ses gonds
qui ne tient plus debout.
— Il n’empêche, il insulte Horeb,
insista Sicheved.
— À moins qu’il n’implore son aide
d’une manière bien orgueilleuse ?
— Ce qui me peine, insista Hobab,
déçu, c’est qu’il refuse de nous parler. De tout le voyage, il n’a été question
ni de l’Égypte ni de Tsippora. Et maintenant, le voilà qui s’enfuit comme un
voleur.
— Parce qu’il pense être un
voleur ! s’exclama Jethro. Il croit avoir volé ce qu’il est. Il se bat
contre son ombre et son propre cœur.
Il en paraissait tout joyeux, admirant à
nouveau le gobelet offert par Moïse. Hobab et Sicheved conservèrent leur moue.
Le vieux sage eut une œillade rusée et tapota la cuisse de son gendre :
— Détends-toi mon fils, et laisse
faire le temps. Horeb est assez grand pour répondre lui-même à l’insulte s’il
en éprouve le besoin. Il est bon que Moïse se fâche contre lui. Cela signifie
qu’il sait à présent que la puissance de l’éternité lui manque. Le devoir et la
honte bouillonnent dans son cœur comme la soupe d’orge sur un feu trop vif.
Vient de s’y ajouter l’herbe de la colère. Celle-là, Horeb en est le maître.
*
* *
Tsippora quitta discrètement la cour de
Jethro, emportant son fils dans un couffin. Les flûtes et les tambours
rythmaient les rires et les danses. Les torches lançaient des éclats sourds sur
l’étoffe de Canaan nouée autour de sa tête. Il n’y avait aucun feu devant la
tente de Moïse. Il s’y tenait assis sur un coussin usé, immobile. Il entendit
son pas, se tourna et leva vers elle un visage durci par la lumière de la lune.
En silence, il l’observa pendant qu’elle déposait le couffin à côté de lui.
Dans l’ombre, le visage de l’enfant était à peine visible.
Sans un mot, Tsippora s’éloigna. Elle
entendit enfin sa voix :
— Où vas-tu ?
Par-dessus son épaule, elle répondit :
— Chercher du bois pour le feu.
À son retour, Gershom ne dormait plus. Il
babillait, poussant de petits cris joyeux tandis que Moïse, d’une main mal
assurée, le berçait.
Tsippora alluma le feu à la flamme de la
lampe à huile. Ensuite, elle dégrafa sa tunique et offrit son sein à l’enfant.
Moïse la regarda faire comme un homme qui se réveille d’un songe plein de
tumultes. Les flammes s’élevèrent, dévoilant la grâce de Tsippora, les reflets
cuivrés de son visage incliné vers l’enfant, son front où les couleurs soyeuses
de l’étoffe de Canaan prenaient des reflets de diadème.
D’une voix ouatée, comme s’il craignait de
faire peur à son fils, il finit par déclarer :
— Ton père m’a dit ce qu’il voulait me
dire. Tsippora approuva d’un mouvement de tête. Elle écarta Gershom de sa
poitrine, referma adroitement sa tunique tout en installant l’enfant sur son
épaule. Tel un petit animal, il nicha sa tête contre son cou. Doucement, elle
se balança d’avant en arrière, fredonnant tout bas. Si bas que seul Gershom
pouvait percevoir la vibration de sa voix à travers leurs chairs accolées.
Moïse ne les quittait pas des yeux. Sans
que son visage en paraisse moins soucieux, il esquissa un signe d’approbation.
Il fallut encore un temps avant qu’il ne demande, avec un geste vers la musique
et les bruits du bonheur dans la cour de Jethro :
— Pourquoi n’es-tu pas restée à faire
la fête avec eux ?
Tsippora sourit. Un beau sourire qui brilla
à la flamme du feu. Elle baisa la main de l’enfant.
— Parce que tu es ici.
— Cela veut-il dire que tu acceptes
enfin d’être l’épouse de Moïse ?
Elle secoua la tête sans cesser de sourire.
— Non.
Moïse ferma les paupières et serra les
poings contre sa poitrine. Tsippora crut qu’il allait laisser éclater sa
colère. Moïse rouvrit les yeux, fixant le feu comme s’il voulait y brûler.
Ils demeurèrent ainsi
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