Tsippora
que nous nommons Horeb.
Jethro s’interrompit. Il ferma les yeux,
leva les mains, paumes ouvertes, avant de les claquer l’une contre l’autre en
opinant vigoureusement.
— Telle est la vérité, mon garçon. De
la grande Alliance de nos ancêtres avec l’Éternel qui les a sortis du néant, il
ne nous reste que l’ombre et la colère. Chaque jour qui passe, la fureur
d’Horeb s’abreuve de nos fautes. Il réclame justice et droiture. Il nous
regarde et il s’impatiente. Hélas, il connaît notre passé aussi bien que
l’avenir qui nous attend. Il voit que nous avançons dans l’obscurité. Il
s’impatiente, il s’impatiente ! Il gronde pour secouer notre torpeur. Mais
il n’obtient que de la peur en retour, alors qu’il désire un peu de courage et
de dignité !
Le visage de Jethro s’était formidablement
animé. Moïse l’écoutait avec crainte. Il y avait dans le discours du sage de
Madiân l’écho des paroles de Tsippora. Que le père et la fille pensent à
l’unisson, Moïse n’en doutait plus.
*
* *
À la fin du printemps, Tsippora annonça
qu’elle aurait bientôt un enfant. Jethro fut le seul à ne montrer aucun
embarras. Aux autres, à Sefoba, Hobab et tous ceux qui la pressaient de
recevoir Moïse pour époux afin de ne pas mettre au monde un enfant dans la
solitude, Tsippora répondait :
— Quelle solitude ? Ma mère, en
me déposant dans la pirogue qui nous a menées à Madiân, était bien plus seule
que moi. Aujourd’hui, vous êtes tous là. Mon père Jethro est là.
Comme ils se récriaient, elle
ajoutait :
— Moïse est promis à une grande tâche.
Qui sait s’il saura l’accomplir ? Elle est lourde et terrible. Mais ma
promesse demeure entière : le jour où il prendra le chemin de l’Égypte, je
serai son épouse.
Comme elle les voyait grimacer et les
entendait marmonner que Moïse n’en aurait jamais le courage, elle affirmait :
— Ne croyez pas qu’il soit
couard ! S’il se refuse à retourner en Égypte, c’est seulement qu’il
ignore encore qui il est. Peut-être le saura-t-il enfin en voyant son enfant.
De son côté, Moïse enrageait. Malgré
l’envie qui lui brûlait le corps, il n’osait approcher Tsippora de crainte
d’entendre ses reproches. On lui indiquait qu’elle se portait bien, que son
ventre gonflait doucement. Mais on lui rapportait aussi des propos à son sujet
qui le mettaient en fureur. Alors, il partait avec son troupeau plusieurs jours
de suite. Mais Tsippora finissait toujours par lui manquer. Il revenait rôder
près de la cour de Jethro dans l’espoir de l’apercevoir et rentrait sous sa
tente tendu de désir, avec, incrustée dans ses yeux, la nouvelle silhouette de
sa bien-aimée, le ventre rond, mais toujours droite et longue. Dans la nuit, il
ne pouvait se rassasier de son visage entrevu, des reflets du soleil du soir
qui cuivraient les ombres de sa peau, soulignaient l’amande de ses yeux, la
finesse de ses narines. Les poings serrés, grognant telle une bête encagée, il
se désespérait de ne pouvoir atteindre ses seins alourdis et ses reins creusés.
À Hobab et Sicheved, qui souvent
partageaient ses repas et l’abreuvaient de questions, il répondait :
— Je deviens un berger accompli. Y
a-t-il du mal à ça ? Les femmes de Madiân mépriseraient-elles les
bergers ? Que peut espérer de plus une mère pour son enfant qu’un bon
berger qui veille sur elle ?
Ils riaient, plaisantaient sur ce que
voulaient et ne voulaient pas les femmes, les mères et les épouses. Sicheved se
moquait des caprices de Sefoba qui n’avait de cesse de le réveiller au cœur de
la nuit pour s’assurer qu’il lui était toujours dévoué. Après ces instants de
gaieté, Moïse reprenait son sérieux et marmonnait sombrement :
— Il n’est pas né, celui qui se
dressera contre Pharaon et sera capable de le vaincre. Oh oui ! Je peux
prendre le chemin de l’ouest avec ma belle épouse kouchite. Nous serons
capturés avant d’atteindre les rives du Fleuve Itérou. Les Hébreux en seront
bien aidés ! Mon grand destin est-il de conduire mon épouse dans la fosse
aux lions ?
Une aube, n’y tenant plus, avant que
quiconque soit debout, il fut au côté de la couche de Tsippora. Elle ouvrit les
yeux et le découvrit là, agenouillé. Sa barbe avait repoussé, plus drue que
jamais, et il l’avait taillée à la manière de Madiân. Il ne ressemblait plus
beaucoup à l’homme qui l’avait prise dans la
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