Un collier pour le diable
l’ambassadeur anglais, sir David Hartley, quand il était venu, l’été précédent, signer à Versailles avec Benjamin Franklin le traité de paix reconnaissant l’indépendance des États-Unis.
La chance le servit. L’hôtel était plein, en effet, mais l’hôtelier, Nicolas Carton, reconnut le jeune homme au premier coup d’œil et l’accueillit en vieil ami.
— Depuis que Monsieur le comte nous est arrivé, le 7 de ce mois, je m’attends chaque jour à voir arriver Monsieur le chevalier, lui dit-il en le précédant au long du large escalier de pierre.
— Monsieur le comte ? Quel comte ?
— Mais… Monsieur le comte de Fersen. Monsieur le chevalier ne sait donc pas que ma maison est pleine de Suédois ?
— Tant que cela ? Avons-nous donc subi une invasion nordique ?
— Je vois que Monsieur le chevalier aime toujours à rire. Il s’agit de la suite de Sa Majesté le roi Gustave III, je veux dire de Monsieur le comte de Haga qui, de retour d’Italie, visite notre pays. M. de Fersen fait partie de cette suite. Il loge ici avec Monsieur le baron de Stedingk.
— Ah ? fit Gilles enchanté de la nouvelle. Ainsi, il est ici ?
— Pas à cette heure, Monsieur le chevalier. Ces messieurs sont à Versailles pour la journée. Ils rencontrent un très grand succès. On les reçoit beaucoup… Votre ancienne chambre est justement libre mais elle n’est pas tout à fait prête.
— Aucune importance. Je ne vais pas me coucher en plein midi. J’ai seulement besoin d’un bain, de quelque chose à manger pour moi et mon valet… et d’un cheval. Le mien a besoin de repos et il m’en faut un frais. J’ai une visite urgente à faire.
Une heure plus tard, Tournemine lavé, rasé, sanglé dans son ancien uniforme des Dragons, enfourchait le cheval que lui avait préparé Carton et, laissant Pongo prendre lui aussi quelque repos tout en renouant connaissance avec la brune Louison, une vigoureuse chambrière qui, lors de l’arrivée de l’Indien sur la terre française, s’était montrée sensible à son charme exotique, à son crâne rasé et à ses incisives de lapin géant, l’officier prit, au petit trot, la direction de l’hôtel de Rochambeau.
Cette fois, le chemin était court, la demeure des Rochambeau étant située rue du Cherche-Midi, près du couvent des Filles-du-Bon-Pasteur, mais Gilles l’employa tout entier à invoquer intérieurement le Seigneur, la Vierge et tous les saints pour que son bon pasteur à lui ne fût pas parti au bout du monde ou, tout au moins, pour ses terres de Touraine.
La chance ne l’abandonnait pas. Le général, non seulement était à Paris mais il était chez lui et la simple déclinaison de ses nom et qualités fit ouvrir toutes grandes devant le jeune homme les portes d’une maison qui semblait cependant en proie à l’agitation des grands départs. Ce n’étaient, dans la cour et les escaliers, que soldats allant et venant avec des papiers, serviteurs charriant des coffres et des sacs de voyage.
— Est-ce que le général s’apprête à partir en campagne ? demanda Gilles, ramené quelques années en arrière quand, à Brest, on préparait l’expédition américaine, à un jeune cornette du régiment de Touraine qui passait, un gros registre sous le bras.
Reconnaissant un officier, le jeune homme s’arrêta, salua.
— Pas en campagne, mon lieutenant, mais pour Calais. Le Roi vient de donner au général de Rochambeau la succession du maréchal de Croy en le nommant au commandement de la plus importante des régions militaires, celle du Nord.
— Diable ! Et le départ est pour bientôt ?
— À la fin de ce mois. Si vous voulez bien m’excuser, j’ai à faire…
« Eh bien, pensa Gilles en regardant s’éloigner ce jeune soldat qui ressemblait comme un frère à ce qu’il avait été, il était temps que j’arrive ! »
Rochambeau reçut son ancien secrétaire comme un fils retrouvé, l’embrassa sur les deux joues, lui allongea dans les côtes quelques bourrades cordiales, lui fit compliment sur sa mine et, pour finir, le précipita dans un large fauteuil avant d’ameuter à grands cris ses domestiques pour obtenir sur l’heure du champagne.
— Vrai Dieu, chevalier, tu n’imagines pas comme je suis heureux de te voir ! s’écria-t-il après que le jeune homme lui eut fait des compliments pour sa récente nomination. Tu apportes avec toi le grand vent de l’Atlantique, des jours d’autrefois, de
Weitere Kostenlose Bücher