Un Dimanche à La Piscine à Kigali
renouvelées, et la maladie qui ici progressait à une vitesse fulgurante, mais avec ses particularités qui toutes pouvaient mener à une découverte importante et même à la fortune. Par exemple, l’absence presque totale de syndrome de Kaposi chez les Noirs, ou encore, ces cheveux crépus qui devenaient droits et souples comme des brins d’herbe ou des cheveux de Blancs. Le sida recelait peut-être le secret du produit cosmétique miracle qui ferait de son inventeur un milliardaire en francs belges. Toutes ces Africaines qui rêvaient de la chevelure de Claudia Schiffer ! Le médecin belge rêvait à sa Mercedes pendant qu’il écoutait Méthode décrire ses derniers problèmes de santé, lui qui n’avait jamais été malade. Il n’avait pas besoin d’écouter, vraiment. Il avait vu, à la couleur des yeux, à la maigreur, aux quelques champignons qui parsemaient les parois de la bouche, parce que Méthode n’avait pu se payer qu’une seule semaine de traitement au Nizoral. Et puis cette tuberculose. « Tuberculose spécifique », disaient les manuels. Sida 101. « Il faudrait peut-être que tu passes le test. »
Le test. C’était le seul test dont on vous parlait en y mettant dans l’intonation une majuscule. Les autres, on y procédait sans rien vous dire et on vous donnait les résultats, si jamais vous osiez poser quelque question à un médecin du CHK. Mais le test, on ne le faisait pas au CHK, c’étaient des Québécois installés près de l’hôpital qui en étaient responsables. Et quand un médecin blanc vous y envoyait, la cause était entendue.
Élise comprit instantanément quand elle vit Méthode s’asseoir péniblement dans son petit bureau et dire à voix basse : « Je viens pour le test. » Deux ans de Rwanda, des centaines, des milliers de sidéens. Les mêmes mises en garde répétées inlassablement, les mots mille fois redits qui annonçaient la fin, les encouragements dont elle doutait de l’efficacité, cet accompagnement permanent de la mort de ceux et celles qu’elle apprenait à aimer au fur et à mesure de leurs confidences, rien ne minait sa détermination.
Élise était une professionnelle de la vie, qu’elle avalait goulûment pour oublier qu’elle ne côtoyait que la mort. Elle offrait son petit corps dodu mais ferme à tous ceux qui lui rappelaient la vie triomphante. Elle avait aimé un terroriste sud-américain, avait combattu pour l’avortement libre dans les années 1970 au Québec et avait la conviction que, dans ce pays du bout du monde, dans cet enfer putréfié, elle pouvait faire une différence. Chez elle, tout était tellement facile. Ici, il fallait tout inventer. Et avec Méthode, il fallait inventer les mots, les phrases, les sourires qui l’installeraient confortablement et dignement dans le court chemin qui le menait à la fin. Élise et Méthode étaient ainsi devenus amis, confidents et presque amoureux au gré des lymphocytes et des mycoses, au rythme de la tuberculose et des diarrhées. La déchéance de Méthode les rapprochait. Jamais un malade ne l’avait autant émue. Méthode ne le savait pas, lui qui prenait les attentions d’Élise pour le devoir obligé de la coopérante blanche venue aider les nègres. Mais il aimait bien son infirmière, un peu comme on aime une sœur. Jusqu’à ce qu’il sache qu’Élise accepterait de commettre un crime pour qu’il puisse mourir à sa guise, quand il en aurait assez de se transformer en squelette, en imitation de momie. Elle lui avait dit : « Quand tu en auras marre de souffrir, dis-le-moi. Tu partiras comme un petit oiseau. Doucement. »
Élise était là. Aussi triste que souriante. Avec ses ampoules de morphine, ses seringues et un énorme verre de whisky à la main. Méthode ferait ce qu’il avait promis de faire, et puis il partirait porté par les ailes chimiques que lui procurerait Élise. Méthode, qui aimait tellement la vie, était heureux de pouvoir mourir ainsi. À Raphaël, il souffla : « Même les riches des États-Unis n’ont pas une si belle mort », et à Valcourt il dit : « Je vais te faire un bon film qui va te rendre riche. » Et il s’assoupit de nouveau pendant qu’Agathe se demandait si, avant d’aller au paradis, Méthode n’aimerait pas une dernière manipulation habile et experte de ce membre maudit qui le conduisait dans la tombe, parce qu’il avait trempé partout sans protection. Mourir sans jouir une dernière fois, dit-elle à
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