Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
Vom Netzwerk:
carte d’identité, mais je le suis par accident. Je n’ai pas choisi et c’est encore une erreur. Mon arrière-grand-père a appris des Blancs que les Tutsis étaient supérieurs aux Hutus. Il était hutu. Il a tout fait pour que ses enfants et ses petits-enfants deviennent des Tutsis. Alors, me voici, hutu-tutsi et sidéen, propriétaire de toutes les maladies qui vont nous détruire. Regardez-moi bien, je suis votre miroir, votre double qui pourrit de l’intérieur. Je meurs un peu avant vous, c’est tout. »
    Le ministre se leva et se mit à hurler : « C’est un scandale ! » Il sortit en trombe. Cela eut pour effet de réveiller ses deux gardes du corps qui s’étaient endormis. Les dignitaires, les Hutus et les deux membres de l’ambassade de Suisse qui subventionnait la Banque populaire suivirent.
    « Je pars content parce qu’enfin j’ai parlé. Adieu, et que le Seigneur vous bénisse. »
    Debout, dans le fond de la large salle froide et laide, Gentille pleurait. Quand Valcourt vint la voir, elle lui dit : « Méthode a raison. Promets-moi de m’emmener avec toi quand tu partiras, je ne veux pas mourir. » Il posa sa main tremblante sur sa joue. « Je te le promets. » Tout basculait, il venait de réintégrer la vie en prononçant quatre mots. Il était venu ici pour vivre lentement, sans but, sans ambition ni passion. Valcourt ne souhaitait qu’aller au bout de son chemin sans tricher, mais en même temps sans s’engager ou prendre parti. « Nous sommes toujours prisonniers de nos paroles », avait-il écrit un jour. Et c’est prisonnier de ses dernières paroles que, oscillant entre l’angoisse et le bonheur, il partit avec toute la bande pour se soûler chez Lando.
     
    À peine Valcourt était-il assis que déjà il s’ennuyait de Gentille qui n’avait pas pu quitter son service. Il laissa les copains agglutinés autour d’une longue table qui se couvrit instantanément de grosses Primus, et s’installa dans un coin à une table bancale qui faisait toc sur le sol de béton chaque fois qu’il s’y appuyait pour regarder le match de foot Lyon-Monaco que transmettait RF1.
    Lando vint le rejoindre avec une bouteille de Johnny Walker Black et deux verres à bière qu’il remplit. Ils allaient vraiment se soûler.
    « Méthode rêvait d’aller au Québec, comme son ami Raphaël l’a fait. Tu ne sais pas comment il l’enviait d’avoir fait ce voyage. Je le comprends un peu. C’est amusant chez vous. Vous êtes tellement loin de tout. »
    Et Landouald raconta la Grande-Allée à Québec et les habitants de la ville, se moquant gentiment de leur réserve provinciale et de ses professeurs de sciences politiques à l’Université Laval. Quand il leur parlait de la démesure rwandaise, de la corruption, de la violence, ses profs québécois tiers-mondistes le traitaient de « colonisé ».
    « J’avais parfois la curieuse impression que les Noirs opprimés, c’étaient eux qui se promenaient dans leur Volvo, et que moi, je n’étais qu’un petit Blanc naïf qui voulait exploiter l’Afrique. »
    Valcourt sourit et but une rasade. Son ami fit de même, mais sans sourire.
    « Tu devrais partir, Bernard. Notre ami Méthode était plus perspicace que je le croyais. Il avait raison. Le grand massacre se prépare, plus grand que tous les autres que le Rwanda et le Burundi ont connus. Notre seule chance, ce sont les Casques bleus et ton général canadien. Mais comme dit Hélène, qui est séparatiste, c’est un vrai Canadien, une imitation de Suisse, un fonctionnaire qui suit la procédure à la lettre. Ici, si tu suis la procédure, tu es cent morts en retard. Bois. Viens voir. »
    Le grand Lando tenait Bernard par l’épaule. Comme il boitait, cela lui faisait plus un poids qu’une étreinte. Ils longèrent le bar, traversèrent le stationnement du restaurant jusqu’au rond-point. On avait largement passé l’heure du couvre-feu. En théorie, seuls les « humanitaires », c’est-à-dire les Blancs, les médecins et bien sûr les soldats avaient encore le droit de circuler. Les « vautours », comme Lando les appelait, patrouillaient le rond-point. Ils étaient une vingtaine. Ils ne faisaient pas partie de la gendarmerie ni de l’armée régulière.
    « Bonjour, messieurs de la garde présidentielle, lança Lando. Je bois à la santé du Rwanda. Vous voulez boire avec nous ? Non, vous ne voulez pas boire avec nous. Vous êtes des Hutus, de vrais

Weitere Kostenlose Bücher