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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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différence ? « Mourir n’est pas un péché », c’est tout ce qu’elle était venue lui dire, et elle posa doucement son autre main sur le front luisant de son fils, qui ferma les yeux et laissa sa dernière larme couler. La dernière larme, c’est l’entrée de la mort.
    Et Méthode répéta enfin, totalement soulagé et libre : « Mourir n’est pas un péché. » Puis, relevant légèrement la tête : « Il faudrait bien leur dire. » Marguerite Izimana acquiesça et se tourna vers Valcourt. Dans ses yeux, ni supplique, ni interrogation, seulement un ordre. Intimidé par cette sombre solennité, Bernard s’approcha.
    — Tu veux me parler, Méthode ?
    — Oui, mais pas juste à toi, à beaucoup de gens… dans la télévision… pour le film que tu voulais faire avec moi. Faisons le film. Je vais me reposer, prendre des forces et puis on fera le film et tu le leur montreras. Et puis… je partirai.
    Méthode ferma les yeux, sa mère aussi. Ils s’installèrent tous deux sereinement dans l’attente.
     
    Méthode ne sortit de son sommeil, de sa stupeur, de son silence ou de son demi-coma, comment savoir ? qu’à la fin de l’après-midi. Tiré des limbes par les cris stridents et rauques des choucas et des buses qui arrivaient en même temps que les Blancs qui rentraient de leur coopération et de leur marchandage. La mère n’avait pas bougé, gisante assise. Pas une seconde elle n’avait abandonné la main de son fils. Seules ses épaules qui se recroquevillaient soudainement quand le souffle de Méthode se faisait plus haletant témoignaient d’un reste de vie dans ce corps fait de nœuds, d’os, de peau tendue et sèche et crevassée de mille rides fines comme celles que creusent les gens du pays sur les collines.
    Sur la longue commode basse qui courait tout le mur face aux deux grands lits, Valcourt avait fait dresser un buffet et un bar.
    — Nous allons boire, manger et baiser, dit Méthode, ajoutant avec un sourire de gamin surpris de son audace qu’il était bien heureux que sa mère ne comprenne pas le français.
    Puis en kinyarwanda :
    — Maman, ne sois pas triste, je vais avoir une belle mort.
    — Pour un jeune homme, une belle mort, ça n’existe pas. Ni une mort utile. Toutes les morts d’enfants sont laides et inutiles.
    André, qui avait appris au Québec comment sensibiliser les Rwandais à la capote et à l’abstinence, arriva le premier pour ce festin funéraire que Méthode avait appelé la Dernière Cène, précisant en poussant un petit rire brisé par la toux qu’il ne se prenait pas pour le Christ. Puis Raphaël avec quelques collègues de la banque, Élise, les bras débordants de fleurs et le sac à main plein de morphine qu’une homologue compréhensive et mal payée lui avait procurée contre dix dollars américains. Agathe enfin, accompagnée de trois de ses filles, car une fête sans femmes libres n’est pas une fête. Elles refusèrent d’embrasser le moribond et même de lui serrer la main. Mais, tout à son bonheur, Méthode ne leur en tint pas rigueur. Au contraire. Que ces jeunes filles aient pensé qu’en le touchant du bout des lèvres ou des doigts elles pourraient contracter la maladie, cela le réjouissait. La peur s’était installée, injustifiée certes, mais cette peur, cette terreur presque, lui et tant de ses amis ne l’avaient jamais ressentie. Sa mort n’aura pas été inutile.
    Quand les premières fièvres l’avaient saisi, il avait pensé au paludisme. Les premières diarrhées ne l’avaient pas surpris. Chèvre malade ou eau polluée. Les dix kilos perdus en quelques semaines, c’était sûrement un empoisonnement alimentaire, cette chèvre pourrie qu’il avait mangée chez Lando, ou peut-être les tilapias grillés qui lui avaient laissé un arrière-goût au Cosmos. Ces champignons dans la bouche ne l’avaient pas étonné non plus, tout comme la tuberculose qui tout à coup le foudroya. Il se prit une chambre dans le pavillon des intellectuels au Centre hospitalier de Kigali, pour ne pas partager le lit de quelqu’un qui avait une diphtérie ou une gale pustuleuse. La maladie apparut sous les traits d’un médecin belge, chef de médecine interne, qui savait bien que la maladie s’infiltrait partout, qu’elle se multipliait plus vite que les lapins et que cela lui donnait une longueur d’avance sur ses collègues occidentaux : tous ces malades, ces cohortes ignorantes à sa disposition, sans cesse

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