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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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comprend une trentaine de bâtiments bas, séparés par des espaces gazonnés et des chemins bitumés. N’eussent été les longues chemises blanches qui marchaient, l’air pressé, poussant des civières qui faisaient un train d’enfer, on se serait plutôt cru dans un camp de réfugiés. Partout, sur la moindre parcelle de terre ou de gazon qui fût à l’ombre, des familles faisaient la popote, des enfants jouaient, des jeunes hommes lorgnaient des jeunes filles. Des vieux dormaient, qui sur une natte, qui sur un grand morceau de carton, la tête recouverte d’une serviette ou d’un carré de mauvais coton.
    — Monsieur Lamarre, cours 101 d’ajustement structurel. L’ajustement structurel, dont vous avez certainement entendu dire qu’il avait aidé plusieurs pays pauvres à assainir leurs dépenses publiques, a inventé en quelque sorte cet hôpital plutôt surréaliste pour le Canadien que vous êtes. Un monsieur de Washington dit au gouvernement du Rwanda qu’il dépense trop dans les services publics, que la dette est trop élevée, mais qu’on l’aidera à rembourser cette dette s’il…
    Lamarre l’interrompit.
    — Monsieur Valcourt, j’ai fait un stage au Fonds monétaire international. Épargnez-moi votre démagogie gauchiste. On a réussi de cette façon à assainir les finances publiques de plusieurs pays africains.
    — Bien sûr. Quand on en discute dans un bureau de Washington ou qu’on dessine des courbes économétriques avec un ordinateur, tout cela semble logique. Dans un hôpital, ça ne tient pas du tout. On commence par imposer des frais d’admission. La moitié des malades cessent de venir à l’hôpital et retournent chez les docteurs-feuilles – c’est ainsi qu’on appelle les sorciers ou les charlatans. Le coût des médicaments augmente, puisqu’ils sont importés et que l’ajustement structurel dévalue les monnaies locales. C’est ainsi que la pharmacie est devenue un salon de broderie. Par la suite, on réduit le personnel. On fait payer les repas, les médicaments, les pansements et tutti quanti. Voilà pourquoi tous ces gens grouillent et grenouillent autour de l’hôpital et à l’intérieur de son enceinte. Petits restaurants qui vendent de la nourriture pour les malades, marchands de médicaments surannés, de poudre de perlimpinpin, d’antibiotiques éventés et d’effets de toilette, et partout, autour de vous, ces familles, trop pauvres pour payer tout cela, qui s’installent ici pour préparer les repas du malade et le laver, le veiller, le conforter. Un hôpital ajustement-structurel, c’est un endroit où on doit payer pour sa mort… car quand ils arrivent ici, leur état est tel que la guérison tient du miracle ou de l’accident. Vous voulez peut-être que je vous parle d’une école ajustement-structurel… non ? J’insiste. Lors d’un séjour en Côte-d’Ivoire, j’ai découvert que, depuis qu’on imposait des frais de scolarité pour la fréquentation du lycée, de plus en plus de jeunes filles s’adonnaient à la prostitution occasionnelle et, comme en bons Africains qu’ils sont les Ivoiriens ont horreur de la capote, ce nouvel arrivage de sexes frais sur le marché a fait bondir le taux de propagation du sida dans les principales villes du pays. Je vous dis tout cela un peu comme un guide touristique qui veut familiariser le nouvel arrivé avec les curiosités du pays. Je ne suis pas cynique, monsieur, je connais très bien mon pays et je vous dis que les guides et les cartes que votre ministère vous a fournis sont de faux documents. Allez ! maintenant le pavillon de médecine interne, royaume du lent pourrissement et de la transformation de l’humain en larve suintante et agonisante.
    — Vous exagérez, monsieur Valcourt.
    — J’aimerais bien que vous ayez raison, monsieur Lamarre.
    Il poussa la porte battante du pavillon B. À gauche, dans un petit bureau, une infirmière remplissait un formulaire. Des bocaux pleins de ouate, des éprouvettes, des seringues, des pelures d’orange jonchaient la petite table sur laquelle elle écrivait. « Bonjour, monsieur Bernard. Si c’est pour Célestine, il est trop tard, elle est morte hier matin. » Il avait connu Célestine au Cosmos. Elle lui avait demandé de l’aider à payer ses études en secrétariat international, juste un petit prêt qu’elle lui rendrait dans quelques semaines. Elle avait insisté, posant sa main sur sa cuisse : « Même si tu fais

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