Un Dimanche à La Piscine à Kigali
président du PSD, un traître hutu attiré par les putains tutsies. « Le travail ne fait que commencer. Cette fois, il ne faut pas s’arrêter avant qu’il ne soit terminé. Nous leur avons pardonné tellement souvent. En 1963, ils n’ont pas compris malgré les avertissements qui leur coûtèrent beaucoup. Dix ans plus tard, nous leur avons montré encore une fois notre puissance et notre droit sur notre pays, mais comme lorsqu’on coupe des vers de terre, les machettes n’ont fait que les multiplier et leur donner encore plus d’audace et de perversion. Aujourd’hui, ils ont tué notre président et s’apprêtent à vous tuer tous. Vous êtes en état de légitime défense. Il faut éradiquer l’ennemi. Un peu de musique et nous vous reviendrons avec les dernières nouvelles. Ici la radiotélévision libre des mille collines, la voix de la liberté et de la démocratie. Voici Imagine de John Lennon. »
Une agitation anormale régnait au carrefour de Rundo. Des dizaines d’ombres couraient de toute part. On avait allumé plusieurs feux. Petite image d’apocalypse, songea Valcourt, qui embrassa Gentille tendrement sur le front. Ils ne dirent rien, mais tous deux pensaient à Marie qui habitait à cent mètres sur la gauche, et c’est dans cette direction qu’ils tournèrent quand ils arrivèrent au barrage. La jeep fut soudain encerclée par une dizaine de miliciens armés de machettes et de masus. Un gendarme leur ordonna de poursuivre leur route vers Kigali ou de retourner en direction de Butare. Interdit de rentrer dans Rundo. « C’est pour votre sécurité. Les rebelles s’infiltrent dans les collines. »
Les militaires qui tenaient le dernier barrage avant Kigali ne semblaient guère inquiets devant la prétendue invasion de rebelles tutsis venus de l’Ouganda. Ils étaient plus nombreux que d’habitude et plus volubiles. Le lieutenant, que Valcourt connaissait de vue, lui faisait de grands signes de bienvenue en marchant vers la jeep. « Bonsoir, le monsieur de la télévision, vous arrivez juste à temps pour faire de belles images. Nous avons commencé à nettoyer la capitale. » Dès qu’ils entrèrent dans la ville, ils entendirent le bruit sec et glacé des coups de feu qui provenait de partout. Valcourt connaissait la guerre, et les bruits qu’il entendait n’étaient pas ceux d’affrontements entre soldats. Les rebelles n’avaient pas envahi la ville, mais des centaines d’assassins s’y promenaient en exécutant leur bruyant travail.
Il était onze heures quand ils arrivèrent à l’hôtel. À l’entrée, là où se tenaient habituellement les vendeurs de cigarettes de contrebande et de fausses sculptures anciennes, une dizaine de membres de la garde présidentielle inspectaient chaque véhicule qui passait. Quelque peu en retrait, des membres de la force des Nations unies faisaient le pied de grue. Une centaine de personnes avaient envahi le hall. Les hommes se pressaient à la réception ou discutaient. Les femmes, assises sur le sol de mosaïque, tentaient de calmer ou d’endormir les enfants. Personne n’avait de bagages et quelques femmes se promenaient en robe de chambre. Monsieur Georges, le directeur adjoint, évoluait dignement au milieu de ce brouhaha, assurant à chacun une chambre dès qu’un de ses clients partirait. Pour l’instant, l’hôtel acceptait de les accueillir, mais il serait préférable qu’ils s’installent dehors, autour de la piscine. Les filles de madame Agathe, qui avaient abandonné le bar de la piscine et celui du quatrième, proposaient comme lieux de rendez-vous la cabine des douches près de la piscine, le salon de coiffure ou les toilettes des femmes au sous-sol. Autour de la piscine, assis sur leur transat en résine, les consultants et les expatriés de passage, grands aventuriers de la coopération qui en avaient vu d’autres, affichaient une belle indifférence qui dissimulait une peur qui les collait à leur siège. Le murmure remplaçait la bruyance. De table en table, ils se regroupaient, laissant leurs homologues locaux à leurs angoisses et à leurs rumeurs, formant de petits cercles de Blancs terrorisés mais calmes en apparence. Professionnels de l’Afrique, ils craignaient quelques débordements durant les premières heures, ce qui les effrayait, mais ils savaient aussi que les paras belges, français ou américains intervenaient rapidement pour extirper leurs précieux compatriotes des enfers que les
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