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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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avaient disparu. Aucun médecin ne faisait le tri des blessés qui se présentaient pour recevoir des soins. Des militaires les regardaient rapidement. La méthode de sélection témoignait d’une logique à toute épreuve. Une personne blessée par machette ne pouvait être qu’un rebelle, et on l’achevait. On jetait son corps sur les piles de cadavres que camions, autobus et automobiles venaient déverser. Des miliciens fouillaient les vêtements et brandissaient leurs trouvailles précieuses en criant joyeusement.
    Victor avait offert au responsable de la barrière située près de son restaurant de nourrir ses subalternes. Il voulait faire sa part pour la république. Quelques miliciens, déjà ivres morts, dormaient devant le restaurant. À l’intérieur, deux gendarmes gardaient une dizaine de jeunes femmes terrorisées. « Des cafards, des cafards tutsis pour qui on va trouver de bons Hutus. » Valcourt reconnut une employée de la télévision à qui il n’avait jamais parlé et dont il ne connaissait même pas le nom. D’instinct, il se dirigea vers elle. La jeune fille posa un doigt sur ses lèvres en signe de silence et fit non fébrilement des yeux. Puis elle lui tourna le dos. Victor, qui avait vu le manège, saisit Valcourt par la manche tout en continuant à égrener son chapelet.
    Victor était un homme industrieux. Il était bien sûr le propriétaire de ce restaurant très populaire et de quelques camions qui faisaient le transport du poisson provenant du lac Kivu. Il prélevait toujours une bonne part du chargement pour récupérer ses faux frais, ce qui lui permettait de servir les tilapias frits les meilleurs et les moins chers en ville. Dans le sous-sol du restaurant, il avait installé un atelier de mécanique et les bureaux d’une compagnie d’importation, qui ne faisait affaire qu’avec l’Afrique du Sud. Victor vénérait deux prophètes, Jésus et Nelson Mandela. Jésus tenait dans ses mains l’avenir du monde, et Mandela tenait dans les siennes l’avenir de l’Afrique. Si l’ancien prisonnier de Robbin Island avait réussi à enlever sans grandes tueries un pays qui appartenait aux Blancs pour le donner aux Noirs, tout en permettant aux Blancs d’exister, il pourrait bien sauver le Rwanda où la majorité était aussi noire que la minorité. Tous les commerçants ne lorgnaient que l’Europe et les États-Unis en se moquant de cet homme pieux et sans éducation, qui voulait faire des affaires avec des Africains. À tel point que, pour importer ses petits moteurs électriques de technologie israélienne et sa machinerie agricole légère, il ne dut verser aucun pot-de-vin, que ce soit à un membre de l’Akusa ou à un fonctionnaire des douanes. Bien sûr, seul son atelier possédait les pièces et l’expertise nécessaires pour réparer ce que Victor vendait. Il était riche, mais cela ne l’intéressait pas. Il voulait vivre en paix avec sa femme et ses six enfants et, surtout, gagner son ciel.
    Deux miliciens ouvrirent les grandes portes de métal noir qui permettaient l’accès à l’atelier de mécanique. Victor arrêta la Peugeot pour demander qu’on les referme derrière lui. Devant eux, une allée rouge s’étendait sur plus de cent mètres pour rejoindre une rue qui menait à l’église de la Sainte-Famille, d’où l’on pouvait rejoindre l’hôtel sans passer par la barrière du rond-point de la Révolution.
    — Victor, je connaissais une des prisonnières.
    — Je les connaissais presque toutes.
    Victor fit monter trois femmes qui se cachaient dans l’atelier. Au bas de la côte, il s’arrêta devant sa maison et revint avec une liasse de billets et un revolver qu’il glissa dans sa ceinture. Les militaires qui gardaient l’entrée de l’hôtel reconnurent sa voiture et lui firent signe de passer, mais il s’arrêta devant le lieutenant et lui donna dix mille francs pour qu’il puisse acheter de la bière et des cigarettes à ses soldats. Durant les jours qui suivirent, le restaurateur conduisit ainsi une centaine de personnes à l’hôtel. Une quarantaine d’enfants passèrent deux mois dans son atelier et furent tous sauvés. Un jour, tandis qu’il rapportait des vivres à l’hôtel, un gendarme refusa les billets qu’il lui tendait et lui demanda de descendre de sa voiture. Victor ferma les yeux et accéléra. La Peugeot percuta un baril de pétrole sur lequel était assis un milicien, qui s’écrasa sur le pare-brise et roula par

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