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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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grandes puissances avaient contribué à créer.
    Valcourt et Gentille, la main dans la main, errèrent quelques minutes dans ce capharnaüm. Ils entrèrent dans leur chambre et trouvèrent profondément endormie l’enfant qu’on allait baptiser Émérita. Alice, petite musulmane de Nyamirambo, regardait sans comprendre CNN qui diffusait une émission sur les nouvelles tendances de la mode en Europe. Elle n’avait pas envie d’aller travailler et encore moins de prendre le risque de rentrer chez elle. Gentille l’installa sur le balcon avec quelques oreillers et une lourde couverture de laine, pendant que Valcourt montait au bar pour faire des provisions. Il revint avec une caisse de mauvais Côtes-du-Rhône, quelques fromages, du pain et trois cartons de lait. « Le barman m’a conseillé d’être prévoyant, surtout avec le vin. Avec tous ces nouveaux arrivés, les réserves vont s’épuiser rapidement. » Il ouvrit une bouteille et versa trois verres, mais Alice refusa, à cause de sa religion. Elle accepta un bout de pain qu’elle tartina de fromage comme si c’était du beurre. Le camembert n’était pas mauvais, le vin était moins piqué que d’habitude. Valcourt et Gentille se faisaient face, assis à califourchon dans le lit comme deux enfants qui, le soir tombé, inventent des histoires magiques pendant que les parents pensent qu’ils dorment. Mais ils ne parlaient pas. Ils se regardaient, leurs yeux ne bougeant qu’au son des coups de feu. Ils mangeaient avec grand appétit et buvaient rapidement, comme s’ils engouffraient des morceaux de vie.
    — Gentille, sais-tu depuis quand je t’aime ?
    — Depuis le soir où tu es venu me reconduire chez moi.
    — Non, depuis le premier matin. Il était six heures et tu commençais ton stage. J’ai demandé des œufs tournés, mais ils ne l’étaient pas. Avec du bacon, mais j’ai eu du jambon. Mais moi, je ne voyais que tes seins qui perçaient presque ta blouse empesée et tes fesses qui semblaient sculptées par un artiste de génie, et je ne voulais pas déplaire à une telle beauté en lui faisant des reproches. Quand je me suis levé, tu as murmuré, effrayée comme une gazelle qui sent le lion : « Monsieur, c’est mon premier jour de stage. J’espère que vous allez me pardonner. J’ai relu mes bons de commande. Vous vouliez du bacon et des œufs tournés. Pourquoi vous n’avez rien dit ? Je vous remercie. » Tu parlais en regardant par terre. Tu étais si désolée et si gênée, si gênée. Je n’ai rien dit. Ta beauté me paralysait et ta franchise m’enchantait. Depuis ce moment, je t’ai surveillée. Je connaissais tes horaires de travail. Tu me servais une Primus et c’est moi qui tremblais en disant merci.
    — Et moi, depuis quand je t’aime ?
    — Depuis l’incident du faux Parisien qui t’a demandé une tisane.
    — Non, depuis le premier jour de mon stage. Quand j’ai compris que j’étais plus importante pour quelqu’un que mes erreurs.
    — Pourquoi alors avons-nous attendu si longtemps ?
    — Je ne sais pas, mais je ne le regrette pas.
    Ils s’allongèrent et, malgré les cris, les conversations bruyantes et les pleurs des enfants qui provenaient de la piscine, vers minuit ils plongèrent dans un sommeil profond et paisible.
     
    C’est l’heure à laquelle, d’après les témoignages recueillis auprès des voisins, survint l’assassinat de leur ami, Landouald, d’Hélène, sa femme québécoise, et de leurs deux enfants par des membres de la garde présidentielle. Le corps de Raphaël fut retrouvé à une dizaine de mètres de la maison d’Élise, chez qui il tentait de se réfugier. Six mois après le génocide, Valcourt était présent quand on exhuma quelques milliers de corps pourris d’une fosse commune qui longeait le mur de l’hôpital, à deux pas du Centre de dépistage où travaillait André, le doux musicien qui gagnait sa vie en distribuant des capotes. Valcourt reconnut son étui à guitare, mais on ne put identifier le corps. La famille décida de faire une sépulture à la guitare. L’époux de Marie réussit à cacher six de ses neuf enfants ainsi que sa femme dans le faux plafond de la maison d’un ami hutu. Ils y passèrent près de deux mois. Il fut tué alors qu’il tentait de sauver les trois derniers. Les trois garçons tombèrent aussi sous les coups de machettes et de gourdins. Avec quinze mille réfugiés, Stratton résista aux attaques des militaires et

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