Un jour, je serai Roi
le préfet de discipline y réfléchit encore, pourquoi le lutteur se bat-il au couteau quand son adversaire est lourdement armé ? Surgissent d’insondables questions. Qui Toussaint cherche-t-il à faire disparaître ? Lui ou son ennemi ? En effet, rien n’est clair, rien n’est sûr. Contrairement aux accusations de Marolles, ce n’est pas un monstre, un misérable, une erreur de la nature. Il n’est peut-être qu’un orphelin à qui on a menti.
Calmés s’efface dans la nuit avant d’être repéré, rongé par le doute qu’il ne peut partager avec ses coreligionnaires de Montcler. Il veut oublier, n’y parvient pas. Une troisième fois, il réapparaît aux arènes, tombe sur le centième combat de Delaforge et décide de tout entreprendre pour arrêter ce massacre, cette orgie de sang, ce suicide qui n’avoue pas son nom. De gré ou de force, par celle que Dieu lui donne, il agira afin que ce soit le dernier.
Renonçant à la prudence, il avance dans le cercle, s’adresse au vainqueur, lui ordonne de donner son arme. On ne l’écoute pas. Donc le pécheur a choisi. Calmés le dénoncera pour empêcher sa propre fin. Et, puisqu’il ne veut pas céder, qu’il fuit, Passe-Muraille entre dans sa trace et arrive au Rat gris .
La suite est insoutenable. Quand il voit Toussaint sortir avec Raymond de la Montagne, exsangues tous deux, prêts à mourir, il n’a que le temps de courir réveiller les frères de Saint-Médard. De l’aide ! Il en obtient. Le plus vieux s’éteint, le plus jeune… Voilà. Ils sont dans la sacristie. Toussaint délire, bientôt la blessure s’infecte, la peau se décompose, la vermine niche dessous, le bras pue horriblement. Il faut couper – rompre avec le passé ? Calmés y songe comme au purgatoire. C’est le sort misérablement humain de ceux qui lavent leur faute.
Maintenant, l’heure est venue de conclure. Quel chemin empruntera Toussaint ?
*
Ce mardi de fin juillet 1658, Calmés se présente à Delaforge. Il vient demander à un jeune homme de vingt ans qui a connu plus de vies que tant d’autres s’il a décidé de mettre fin à celles qu’il a connues. Il veut savoir si son sujet peut être sauvé. Ange ou démon ? Pour décider enfin, il est prêt à lui apprendre la vérité.
1 - Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. Comploteur et frondeur. Rêva de prendre place sur le trône de France. Fut exilé en son château de Blois par Mazarin. Y mourut en 1660.
2 - Mazarin s’éteint le 6 mars 1661.
3 - Josquin Lebloitte dit Josquin des Prés (1440-1521). Célèbre compositeur de la Renaissance.
Chapitre 20
I LS SONT SEULS , face à face, dans la sacristie de l’église Saint-Médard. À l’autre bout, l’organiste et le charpentier Germain Pillon vérifient la qualité du sommier, le cœur des orgues, distillant les sons du bel instrument qui, dimanche, louangera Dieu, élèvera le cœur des paroissiens. Leurs voix sont lointaines, étouffées. C’est donc qu’ils ne peuvent entendre ce qui se dit ici, près du tabernacle et du petit autel en désordre depuis que Toussaint y a jeté son couteau.
— Tu sais maintenant comment je t’ai retrouvé, souffle Calmés en ramassant le calice que Delaforge a renversé.
Le jésuite procède par touches, avance lentement. Ainsi, n’a-t-il pas encore parlé des aveux de Paillard et de l’étrange découverte qui a suivi.
— Pourquoi ne m’avez-vous jamais dénoncé ?
Ta vie est étrange, ton passé mystérieux, pourrait-il répondre. Qui faut-il condamner, qui es-tu vraiment ? Le lutteur des arènes, le collégien secret, brutal de Montcler ? Ai-je tort ou raison d’accuser Joseph de Marolles de t’avoir menti et, en cela, poussé à la déraison ? Dois-je te dire où tu es né et de quelle étrange façon ?
— J’ai voulu te laisser aller jusqu’au bout de ta route, répond-il simplement.
Son opinion est fragile, il redoute tant ce qu’il a déniché ! À supposer qu’il ne se soit pas trompé. Faut-il apprendre ce qu’il sait à son protégé ? se répète-t-il. Quelle sera sa réaction ?
Delaforge brandit son bras coupé :
— Ma route ! Parlez-en comme d’une souricière…
Calmés s’en défend, mais ce jeune homme le trouble. Non, ce n’est pas physique, encore moins charnel, du moins il ne le croit pas. Mais l’attirance est là, depuis toujours. Est-ce aussi pourquoi il ne l’a pas trahi ?
Aux premiers temps de Montcler, il avait été impressionné par le mystère de
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