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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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ce regard gris, ces lèvres toujours serrées, ce visage ourlé d’une cicatrice étrange et profonde dont certains pensionnaires se moquaient, quand d’autres s’en effrayaient. Il avait presque à regret puni l’enfant, convaincu que la peur de ce nouveau monde expliquait pour beaucoup qu’il se soit caché dans la chapelle du collège. Par la suite, il n’avait eu qu’à se féliciter de la docilité de l’élève, encore que, ce mot – docile – ne fût jamais approprié. Toussaint allait parmi les autres sur une île désertée par ses pairs. Il ne se plaignait jamais, ne manifestait aucun désir, prenait ce qui venait, nourriture terrestre et spirituelle, sans intérêt. Pourtant, lors des travaux de consolidation de la chapelle, son regard s’éclaircit, les mots sortirent de sa bouche.
    Le maçon Pontgallet avait mis sens dessus dessous l’ordre immuable de Montcler. Nombre de collégiens prenaient ce prétexte pour déserter la chorale et alléger le pensum des prières. Delaforge avait été le seul à s’intéresser à la magie du bâtisseur. On le voyait porter des pierres trop lourdes pour lui, poser moult questions sur la taille, le mortier, la chaux, l’édification miraculeuse d’une voûte romane suspendue dans le ciel, soutenant toutes ses fractions agrippées entre elles. Comment faire voler plus lourd que l’air ? Les anges y étaient-ils pour quelque chose ? Le préfet de discipline surveillait ce bonhomme questionnant Nicolas Pontgallet qui se soumettait de bon cœur. Un matin cependant, le maçon se plaignit du vol d’un couteau et il y songeait pour le danger que représentait la lame aiguisée. Passe-Muraille enquêta, interrogeant Toussaint, suspect principal puisqu’il accédait aux instruments du maçon. Le gamin ne lâcha rien. On le crut. Le fautif se trahirait. Le couteau portait sur son manche les initiales N & P du propriétaire. Mais le mystère restant entier, il finit aux oubliettes. Calmés n’y pensa plus.
    On devine son étonnement en découvrant que l’arme du lutteur des arènes portait les lettres N & P sur son manche usé, encrassé de sang. Oui, aujourd’hui, se dit-il en regardant ce jeune homme, est-ce un voleur ? Un tueur ? Un esprit torturé, une erreur de la nature , comme l’affirmait Marolles ?

    Toussaint porte une chemise largement ouverte sur le thorax. On aperçoit les stigmates de ses combats. Le corps est sec, noueux, amaigri ; le visage émacié, les joues creuses, au point que la cicatrice du visage s’y fond, le regard s’est durci, le gris s’assombrit. C’est celui d’un fauve blessé mais toujours sauvage. Quelqu’un, un jour, passera-t-il un collier autour de ce cou ? Puis on en vient au bras qui manque. Toussaint commence à prendre l’habitude de s’en passer. Il se sert du moignon du coude pour saisir le dossier d’une chaise afin de s’y asseoir, face à Calmés. Il attend ce que son sauveur veut lui dire.
    — Avant que tu n’ailles affronter Beltavolo, je t’ai mis en garde. Je t’ai supplié d’arrêter.
    — La morale du bon curé ! J’ai connu vos sermons et mon dos se souvient de votre fouet ! Passez votre chemin…
    Tant d’injustice révolte Calmés qui retrouve sa dureté :
    — Le tien se termine en impasse ! Une souricière, tu l’as dit ! Dieu, j’aurais dû mettre fin à ta folie bien plus tôt.
    — Non, mon père, grince Toussaint, vous avez eu raison…
    Il montre son bras coupé :
    — Désormais, raille-t-il, je ne crains plus les galères…
    — Il te reste le pilori ! enrage Passe-Muraille .
    — Comment ferez-vous pour me mettre en croix ? braille-t-il.
    — Tais-toi ! tonne Calmés. J’ai veillé sur toi, je t’ai sauvé ! Et tu me remercies en blasphémant, en jurant sur ce qu’il y a de plus sacré !
    — Mon père…
    Brutale, haineuse, la voix de Toussaint se fait soudain douce.
    —… Rendez-moi service. Envoyez-moi en enfer. Maintenant…
    Il baisse la tête, pose sa seule main sur ses yeux. Tremble-t-il ? Le geste est si maladroit, si balourd et si enfantin qu’il ne peut cacher toutes les larmes qui sortent. Toussaint l’invincible pleure comme un petit garçon, celui qu’il n’a jamais eu le temps d’être. Cela suffit pour convaincre Calmés que la tempête qui gronde au fond, où personne ne va, cache une souffrance qui elle seule doit être adoucie. Mais il ne sait comment s’y prendre.
    — Je te donne une semaine pour me faire part de ta décision, assène le

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