Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
Vom Netzwerk:
flou – mais Calmés pouvait lui en apprendre plus –, tous deux avaient souffert de leurs disparus. Lui avait trimé jeune ; l’autre s’était vu imposer la dureté du pensionnat. Deux destins jalonnés de difficultés expliquaient sans doute pourquoi ils s’entendaient bien.
    *
    Le beau couvent des Annonciades célestes 2 , installé rue de la Couture-Sainte-Catherine, avait été créé à l’initiative de la marquise de Verneuil quelques années plus tôt. En 1622, croyaient se souvenir les habitants de ce quartier. On ne se rendait pas dans son église pour entendre le sermon d’un curé austère, à cheval sur les principes, et qui pinçait la bouche au moindre gazouillis des jeunes novices. L’affluence s’expliquait principalement par la présence du tableau du maître-autel de Nicolas Poussin, dédié à la foi et la prière. Deux cierges éclairaient la Vierge Marie entourée de l’ange annonciateur et du Saint-Esprit. Le ciel s’ouvrait pour la venue du Fils de Dieu. La dominante sobre du jaune, couleur de la Juive romaine, prouvait que la beauté n’avait nul besoin d’excès et de prétention. Le génie de Poussin se montrait dans cette œuvre, dépouillée des contraintes liturgiques. S’asseoir et la contempler, c’était entrevoir les promesses du paradis.
    Les premiers bancs de l’église étaient bondés pour l’office du soir. Delaforge se souvenait parfaitement de l’emplacement de celui des Voigny : premier rang, face à Dieu, et pour que tous les voient. Il prit appui sur le dossier d’une chaise commune et s’agenouilla pour un signe de croix impeccable. En se relevant, l’ébène heurta le bois du siège. Un bruit mat se fit entendre, attirant le regard irrité d’un paroissien. Delaforge n’en décida pas moins d’avancer vers le chœur, certain que sa chemise et sa veste neuves lui offraient le meilleur des passe-droits. Il trouva à s’asseoir, à l’abri d’un pilier, à vingt pas des Voigny. D’ici, il voyait tout et, en reculant la tête, devenait invisible au vieux marquis, entouré de sa fille Aurore et d’Antoine, insipide et mollasson, tout le contraire de François, l’aîné, le soldat arrogant qui avait traité la mère de Toussaint de catin. Ce dernier ne se montrait pas. Avait-il pris ses quartiers d’hiver ou battait-il toujours la campagne ? L’étude du cas et de ses dangers viendrait plus tard.
    Pour l’heure, Delaforge accueillait ses émotions, ne sachant celle qui dominait : la colère ou la jouissance amère que procurait l’espionnage de l’ennemi. Dans sa poche, le métal froid du couteau caressait sa cuisse. Ici, il ne pouvait agir. Il fallait attendre, ce qui lui convenait car il ne ressentait aucune envie de se précipiter. L’absence de François, un impulsif qui aurait bondi sur-le-champ en l’apercevant, lui laissait le temps de détailler ses victimes et de se torturer. Qu’apprenait-il ? Tout chez eux était en paix, rassuré ; aussi, qu’il serait bon de détruire leur harmonie, d’y entrer de plain-pied de manière expéditive et brutale. Mais ses pensées furent dérangées par le déroulement de l’office car venait le moment du sermon, écouté assis. Alors qu’elle se posait, Aurore regarda Antoine qui lui renvoya un sourire complice. Avant que le prêtre ne parle, elle tourna à nouveau le visage vers son frère, montrant son nez droit et fin. Une mèche rousse s’échappa du voile en dentelle qui lui donnait des airs de madone. C’était toujours la grâce et la douceur de celle qui avait bercé son enfance. Toussaint se reprit pour ne pas se laisser attendrir, et se souvint que, dans l’ordre des condamnés, le père arrivait en premier, et la fille en dernier.
    Assis, le pilier de l’église lui cachait ses ennemis. Delaforge s’obligea à s’intéresser au prêchi-prêcha de l’officiant entouré d’une cohorte de seconds, parmi lesquels se comptaient les enfants de chœur, un vicaire, un ou deux prêtres encore, et un jésuite : Joseph de Marolles. L’attention de Toussaint était si tournée vers l’assemblée qu’il n’avait guère pris le temps de surveiller l’autel, mais le bougre s’y trouvait, plongé dans la prière, yeux clos, mains jointes, dans le rôle du parfait faux dévot. À cette distance, l’un et l’autre pouvaient se voir et se reconnaître, sauf que, par tradition, l’ecclésiastique, à l’exception du prédicateur, se désintéressait des ouailles. Son sacerdoce

Weitere Kostenlose Bücher