Un jour, je serai Roi
foutoir !
Ravort a déjà jaugé l’intrus. Un sacré soldat. L’allure, la démarche, la façon de repérer le champ de bataille, tout y est. Pourtant, il manque de sommeil, ses yeux sont gonflés, rougis par la poussière, mais y brille une lueur impitoyable qui rappelle à Traîne la patte le regard du lutteur des arènes.
— Où est ce lâche ? hurle l’enragé en posant la main sur son épée.
Traîne la patte s’apprête à répondre qu’il n’y a personne, cherche à gagner du temps, prévenir Delaforge, organiser un piège tordu dans lequel tombera le risque-tout qui imprudemment se présente seul mais, là-haut, des pas résonnent. Voigny bouscule le boiteux pour forcer le passage, quand il entend une voix surgissant de l’escalier : — Ravort, as-tu offert du vin à notre visiteur ?
Toussaint descend, brandissant ostensiblement le couteau qui faisait de lui, autrefois, le redoutable, l’imbattable, l’irrésistible.
— Armé ! raille Voigny. Tu es donc coupable et tu as peur…
— La dernière fois que nous nous vîmes, j’ai payé le prix fort. Je suis prudent, voilà tout.
— Prudent, ce ne sera pas assez. Je viens venger Antoine !
L’orphelin ne recule pas pour autant. À dix pas de celui qui le menace, il fait face et le toise : — Qui te dit que je suis responsable ?
— Ne me tutoie pas !
— Pourquoi ? Qu’as-tu de meilleur que moi ?
— Je vais te tuer, Delaforge.
— Essaye toujours ! raille l’inconscient.
François de Voigny rugit et dégaine. Toussaint se campe sur ses jambes, prêt à bondir, mais l’ébène pèse lourd et le gêne considérablement. Il n’est plus le lutteur des arènes.
Ravort ? Il a disparu. Le lâche a compris que c’était la fin.
— As-tu de l’honneur, Delaforge ? grogne Voigny.
— Cette vertu coule dans mon sang autant que dans le tien…
— Bâtard, ignoble bâtard qui se voudrait noble ! Si tu es tel que tu le prétends, il t’est interdit de mentir.
— Interroge-moi, tu verras bien.
— Je n’aurai qu’une question : es-tu responsable de la mort de mon jeune frère ?
— Je cherchais à salir son nom, donc le tien, mais surtout celui du marquis de La Place, crache Toussaint sans manifester la moindre émotion. Et j’ai tant réussi que ce nigaud a mis fin à sa vie. En fait, pour être sincère avec toi, j’espérais qu’il agirait ainsi, mais je n’en étais pas certain. Antoine était si lâche… Grand Dieu ! Pour finir, il aura fait preuve de courage…
Voigny avance encore, le visage en feu.
— Pourquoi ? hurle-t-il. Pourquoi nous hais-tu ?
— C’est ta deuxième question et tu n’en annonçais qu’une, mais je te répondrai. J’ai décidé de vous détruire un à un, vous, les Voigny, les La Place. Antoine était stupide, naïf. J’ai choisi de commencer par la facilité.
Le soldat s’arrête. Il regarde sa victime et ne la comprend pas.
— Pourquoi t’acharnes-tu ! Es-tu fou ? Es-tu le diable ?
— Peut-être… Seul ton père le sait. Demande-lui… si tu parviens à me tuer. Maintenant, cesse de bavasser comme une femmelette ! Viens te battre !
L’épée s’élève, siffle l’air, le bras se courbe pour aller chercher le flanc. L’attaque de Voigny est foudroyante. Sa lame fend le vide. Tout être ignorant le combat y aurait laissé la vie, mais Delaforge a paré le coup en tournant d’un quart sur les talons. La pointe saisit sa chemise et la déchire. Du sang jaillit. Une simple écorchure, un répit que Toussaint exploite en détendant son bras gauche armé du couteau fraîchement aiguisé, qui trouve l’épaule droite de Voigny et y pénètre assez pour le blesser sérieusement, l’obligeant sous la douleur à reculer. On s’est répondu coup pour coup. Et Delaforge a pris le dessus. Voigny se méfie désormais, et la blessure raidit sa main droite. Alors, il passe l’épée dans celle de gauche, mais la manie avec autant de dextérité.
— Tu as mal, Voigny ? Ce n’est rien. Te souviens-tu du jour où tu m’as blessé à la main ? Fichtre, comment te battre ensuite ? Tu as gagné ce jour-là, maintenant, c’est différent. Vas-y ! Essaye de me toucher. Moi, je ne sentirai rien…
Il tapote son bras d’ébène avec sa lame.
— Allez, approche. Finissons-en.
Malgré la fatigue et sa blessure, Voigny possède trop de force et de volonté pour ne pas l’emporter. Il ne parle plus, se concentre, se met en garde, mouline, prépare sa botte. Son œil s’attarde sur le
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