Un jour, je serai Roi
flanc droit. Delaforge comprend l’attaque quand son assaillant avance le pied afin de frapper plus vite que l’éclair. Alors, il répond en se servant de son bras mort comme d’un bouclier. Surpris, Voigny doit se dégager, il est trop près de l’autre. Le bois est un piège, la pointe s’y est enfoncée, s’accroche. Un coup sec du poignet, un second… Avant que Voigny ne s’en dépêtre, le couteau de Delaforge le frappe au ventre, au-dessus de la ceinture, et tranche ses muscles. La brûlure est terrible, Voigny résiste. Il parvient à redresser l’épée et frappe Delaforge au visage avec le pommeau. La mâchoire et la tempe du balafré sont salement touchées. Toussaint s’écarte pour reprendre son souffle, mais tout tourne, devient flou. Où est Voigny ? Devant. Une ombre qui danse, approche en titubant – car il n’est guère mieux –, mais à qui il reste assez de force pour lever une dernière fois son arme. Le soldat va frapper au cœur. Delaforge s’y prépare. Il tombe à genoux, croit voir Marie, sa mère. S’il ne l’a pas entièrement vengée, au moins, il la retrouve. Et ses yeux se ferment avant de sentir le froid de l’épée se glisser entre ses côtes.
Chapitre 42
L E V AU EST SANS NOUVELLES depuis plus de dix jours. En quittant l’architecte, Toussaint lui a simplement annoncé qu’il serait à Versailles où des affaires pressantes l’attendent. Soit. Mais dix jours. Quel jour est-on ? Le 7 août. Jeudi, déjà. Une semaine va s’achever et son second lui manque cruellement. Bien sûr, c’est le moment choisi par les marguilliers pour questionner l’architecte sur toutes sortes de sujets financiers auxquels il n’entend rien. Ses comptes doivent être mis à jour, les échéances se précisent. De quelle somme dispose-t-il exactement ? Tout se trouve dans le carnet noir que conserve son second. Et voilà que la manufacture de fer-blanc le réclame afin d’effectuer de nouveaux essais de fabrication de canons. Demain, si Delaforge ne se montre toujours pas, Le Vau se rendra à Versailles.
Philippe de Voigny, marquis de La Place, enterre Antoine le 9 août à dix heures. Il reposera aux côtés de sa mère, Isabelle, décédée trop jeune, trop tôt, et son mari mesure combien sa vie et celle de ses enfants auraient été différentes si elle se trouvait toujours à ses côtés. Il se dit qu’il serait sans doute installé ici, à l’année, loin des agitations de la Cour, que le domaine serait beau, mieux entretenu, qu’il aurait fait un parfait gentilhomme de campagne, partageant son temps entre la chasse et les profits de la terre, marchant au pas lent des saisons et profitant pleinement de leurs bienfaits. Peut-être aurait-il été plus proche de son cadet, et l’aurait-il mieux compris, accepté ? Et s’il n’avait pas eu assez d’intelligence ou de tolérance pour l’écouter, son épouse aurait corrigé ses défauts et fait en sorte que les qualités de leurs enfants s’épanouissent. Les a-t-il seulement vus grandir ? Il a confié l’éducation de sa progéniture au révérend Marolles qui n’a eu de cesse de leur répéter à l’infini la définition du bien et du mal, sans jamais chercher à explorer leurs caractères, leurs personnalités.
Que lui reste-t-il ? Une fille révoltée, instable, fragile, ni promise ni abbesse, mais qui ne montre aucune attirance pour le mariage, s’y refuse même, s’arrange pour faire fuir les prétendants au motif qu’elle a vécu trop d’années dans la société des hommes pour ne pas en connaître la tyrannie. Aujourd’hui, c’est pis encore. Depuis l’annonce de la mort d’Antoine, elle ne lui a pas adressé la parole, le tenant pour responsable de la déchéance du cadet. Qui lui reste-t-il ? psalmodie le vieux Philippe de Voigny. François. Un fils orgueilleux, impulsif avec qui il ne parle que de la guerre et des armes. Le marquis réalise qu’il s’enfoncera seul dans la vieillesse. Il frissonne. Ce 9 août, la chapelle du domaine est humide, froide.
— Même s’il meurt avant l’âge, le juste trouvera le repos…
Marolles est debout, à l’autel. Il a choisi un extrait du Livre de la Sagesse. Il était déjà là quand Isabelle de Voigny est morte. Il est celui qui a connu tous les secrets de la famille, mais n’a jamais été un intime pour La Place. Oui, qui reste-t-il à ce père pour l’aider et le secourir ? Pas même un enfant.
— La dignité du vieillard ne tient pas au
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