Un jour, je serai Roi
mais il s’était trop aventuré. Alors, il sortit son couteau, découvrant sa main, touchée par Voigny et couverte de sang séché.
— Tu t’es coupé ? ricana l’un.
— Tu comptes faire peur à qui avec un canif de barbier ? railla le borgne.
La bande approcha encore, le pressant davantage. Les regards étaient narquois, la dégaine assurée. On le détaillait. En pensée, on le pillait déjà. S’il ne représentait pas un danger, il devenait une proie. Qu’avait-il dans la besace cachée sous son manteau ? Cela faisait une heure que Delaforge s’essayait à la liberté et il lui vint que son prix pouvait être très élevé. Il recula, se colla à un pilier du Pont-Neuf, mais fit face :
— Pas plus tard qu’aujourd’hui, je me suis battu, asséna-t-il en montrant le sang sur sa chemise. Et, hier, j’en ai tué un.
La sortie modéra l’ardeur d’en face, mais l’éclipse ne dura guère. Un coup d’œil au chef qui, lui, se tenait sur ses gardes, puis un geste de ce dernier : l’ordre était clair. La manœuvre des prédateurs consistait à encercler le gibier.
— Tu n’as pas tué pour rien, jeta le plus hargneux. Qui as-tu rançonné ? Où se cache ton larcin ?
Delaforge ne put s’empêcher de serrer sa besace, geste qu’il regretta aussitôt car, en face, le flottement prit fin, et chacun sembla savoir ce qu’il devait faire. Un bâton se cachait sous une cape, une épée sous une autre, une dague se montra. L’attaque fut rapide, précise. Un rondin toucha Toussaint à l’épaule, déclenchant une douleur terrible. L’os craqua. Il mit un genou en terre, découvrit son visage. Le coup suivant fut frappé dans la nuque. Il s’effondra. La bataille était perdue. On lui arracha son bien et le chef des pillards n’eut guère besoin de fouiller longtemps pour trouver la bourse. En haut, sur le Pont-Neuf, la foule ignorait le drame qui se déroulait. Ce qui sauva Delaforge d’une mort immédiate ? L’argent. La découverte d’une somme considérable déboussola les brigands, d’autant que la bourse était déchirée et que des pièces roulaient sur le pavé. La bagarre n’avait attiré personne, mais ce bruit sonnant et trébuchant excita l’intérêt des concurrents. D’autres arrivèrent. À quoi bon y laisser des plumes ? La prise était suffisante. Le chef houspilla les siens.
— En route !
Il quitta des yeux celui qu’il venait de dépouiller. Alors, le coriace, pas assez assommé, bondit sur ses jambes, détendit le bras et planta son couteau dans le ventre de cet adversaire.
— Foutre ! hurla un de ses sbires. La Rogue est à terre.
Delaforge se redressa. Il secoua la tête pour chasser le brouillard qui voilait son regard, oublia la douleur aiguë à l’épaule. Il allait charger, mais un assaillant le tenait à distance avec une épée tandis qu’un complice se précipitait sur La Rogue , inconscient, et lui arrachait la bourse. Toussaint, l’œil à tout, se gardait à gauche, à droite, devant. Ils étaient trois à tournoyer, avancer, reculer, cherchant une faille dans la défense. Un gourdin la trouva, la tête prit rudement. Toussaint resta immobile un instant. Le second coup fut plus violent encore. Son buste se plia, son corps s’affaissa. Il tomba, bras en croix, yeux fermés. Le sang s’échappait de sa cicatrice. Deux hommes étaient à terre dont un, La Rogue , assurément mort. Au loin, une femme se mit à crier. Elle alertait le monde. Le quai ressemblait désormais à une souricière.
— Foutre de merde ! grogna le borgne en donnant un coup de botte dans le ventre de La Rogue . Le gosse l’a eu…
— Secoue-toi ! aboya l’homme au gourdin, un gaillard aux mains épaisses dont la tête était dévorée par la teigne. On a l’argent. La Rogue aura droit à une messe…
— Et l’autre ?
Le teigneux avait pris la place du chef.
— Il a son compte, assura-t-il en brandissant son gourdin.
— T’es sûr ?
La masse se leva :
— Bon Dieu, regarde autour de toi, ça grouille de partout ! Obéis au lieu de perdre du temps ! Chacun file de son côté. Rendez-vous au Chapeau rouge .
Le teigneux avait la bourse. Plus rien d’autre ne comptait. Il se mit à courir. La fuite générale s’organisa.
Le Chapeau rouge est une taverne lugubre située à l’entrée de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. Naguère, c’était le chemin que gravissait la fille unique de Severus et de Geroncia 2 pour se rendre au monastère des
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