Un long chemin vers la liberte
pour contester le chef d ’ inculpation lui-même. Nous prétendions entre autres qu ’ il manquait de précision. Nous soutenions aussi que la violence organisée était nécessaire pour prouver la haute trahison, et l ’ accusation devait fournir des exemples montrant que nous avions eu l ’ intention d ’ utiliser la violence. A la fin de notre démonstration, les trois juges semblèrent d ’ accord. En août, la cour cassa une des deux accusations selon la loi sur l ’ interdiction du communisme. Le 13 octobre, après deux autres mois de combats juridiques, le ministère public annonça brusquement qu ’ il retirait complètement l ’ accusation. C ’ était extraordinaire, mais nous connaissions trop bien les méthodes tortueuses du gouvernement pour nous réjouir. Un mois plus tard, l ’ accusation présenta un nouveau chef d ’ inculpation, rédigé avec plus de soin, et annonça que seuls trente accusés seraient poursuivis, les autres étant jugés plus tard. Je faisais partie des trente premiers, tous membres de l ’ ANC.
D ’ après le nouveau chef d ’ inculpation, l ’ accusation devait maintenant prouver la volonté d ’ action violente. Pirow dit que les accusés savaient bien que la réalisation des objectifs de la Charte de la liberté « impliquait nécessairement le renversement du gouvernement par la violence ». Mais l ’ affrontement juridique se poursuivit jusqu ’ au milieu de l ’ année 1959, date à laquelle le tribunal abandonna les poursuites contre les soixante deux accusés restants. Pendant des mois, l ’ activité dans le tribunal se résuma aux manœuvres juridiques les plus dures. Malgré les succès de la défense, qui montraient la fragilité des arguments de l ’ accusation, le ministère public s ’ entêtait. Le ministre de la Justice déclara : « Ce procès ira à son terme, même s ’ il doit coûter des millions de livres. Qu ’ importe combien de temps il va durer ! »
Un peu après minuit, le 4 février 1958, je suis rentré à la maison après une réunion et j ’ ai trouvé Winnie seule qui souffrait, car les premières douleurs de l ’ accouchement avaient commencé. Je l ’ ai conduite immédiatement au Baragwanath Hospital, où l ’ on m ’ a dit que cela prendrait encore des heures. J ’ ai attendu jusqu ’ au moment où j ’ ai dû partir au tribunal à Pretoria. Dès que les délibérations ont pris fin, je suis revenu très vite avec Duma Nokwe pour trouver la mère et la fille qui se portaient tout à fait bien. J ’ ai pris la petite dans mes bras et j ’ ai déclaré que c ’ était une vraie Mandela. Mon cousin, le chef Mdingi, proposa le nom de Zenani, ce qui signifie « Qu ’ as-tu apporté au monde ? » – un nom poétique, qui incarne un défi en suggérant qu ’ on doit apporter quelque chose à la société. C ’ est un nom qu ’ on ne fait pas que porter : il oblige à mener une vie qui en soit digne.
Ma mère est venue du Transkei pour aider Winnie ; elle avait l ’ intention d ’ organiser pour Zenani un baptême xhosa en faisant appel à un inyanga, un guérisseur tribal, afin de donner à l ’ enfant un bain traditionnel aux herbes. Mais Winnie s ’ y est opposée résolument, considérant cela comme malsain et dépassé ; à la place elle enduisait le corps de Zenani d ’ huile d ’ olive et de talc, et lui faisait boire de l ’ huile de requin.
Dès que Winnie a été remise sur pied, j ’ ai entrepris de lui apprendre à conduire. A cette époque, la conduite était une affaire d ’ hommes ; on voyait très peu de femmes, et en particulier de femmes africaines, au volant d ’ une voiture. Mais Winnie avait l ’ esprit indépendant et voulait apprendre ; en outre, ce serait utile puisque j ’ étais presque tout le temps absent et que je ne pouvais la conduire nulle part. Je suis peut-être un professeur impatient ou j ’ avais peut-être une élève entêtée, mais quand j ’ ai essayé de donner des leçons à Winnie dans une rue relativement calme d ’ Orlando, elle ne pouvait pas changer de vitesse sans que nous nous querellions. En fin de compte, elle a ignoré un conseil de trop et je suis rentré à pied. Elle semblait s ’ en sortir mieux sans moi car elle a continué à tourner toute seule dans le township pendant une heure. A ce moment-là, nous étions prêts à nous réconcilier et, par la suite, cette histoire nous a fait rire.
Winnie
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