Un long chemin vers la liberte
infatigables et leur façon de manifester fut un modèle jamais égalé de manifestation antigouvernementale. Comme l ’ a dit le chef Luthuli : « Quand les femmes commenceront à prendre une part active à la lutte comme elles le font actuellement, aucun pouvoir sur terre ne pourra nous empêcher d ’ atteindre la liberté pendant notre vie. »
Dans tout le Transvaal du Sud, à Standerton, Heidelberg, Balfour, et dans d ’ autres villages, des milliers de femmes manifestèrent. Pendant une suspension du procès pour trahison, Frances Baard et Florence Matomela organisèrent une manifestation de refus du pass dans leur ville, Port Elizabeth. En octobre, à Johannesburg, un important groupe de femmes se réunit au service central du pass et chassa les femmes venues chercher le leur ainsi que les employés qui travaillaient à l ’ intérieur, bloquant tout le service. La police arrêta des centaines de manifestantes.
Peu de temps après ces arrestations, nous venions de souper, et Winnie m ’ informa qu ’ elle voulait rejoindre le groupe des femmes d ’ Orlando qui devaient manifester le lendemain devant le service du pass. J ’ ai été pris au dépourvu, mais si son engagement et son courage me plaisaient, ils m ’ inquiétaient aussi. Depuis notre mariage, Winnie s ’ était de plus en plus politisée et elle appartenait à la branche d ’ Orlando de la Ligue des femmes de l ’ ANC, ce que j ’ avais encouragé.
Je lui ai dit que sa décision me plaisait mais que je devais la mettre en garde sur la gravité de son acte. Cela changerait radicalement sa vie. D ’ après les critères africains, elle était originaire d ’ une famille aisée et elle avait vécu à l ’ abri de certaines des réalités les plus désagréables d ’ Afrique du Sud. En tout cas, elle n ’ avait jamais eu à s ’ inquiéter pour son prochain repas. Avant notre mariage, elle avait vécu dans des cercles d ’ une richesse et d ’ un confort relatifs, une vie bien différente de l ’ existence précaire d ’ un combattant de la liberté.
Je lui ai dit que, si on l ’ arrêtait, son employeur, l ’ administration provinciale, la licencierait – nous savions tous deux que son maigre revenu nous faisait vivre – et qu ’ elle ne retrouverait sans doute jamais de travail comme assistante sociale parce que le stigmate de l ’ incarcération empêcherait les services publics de l ’ engager. Enfin, elle était enceinte et je l ’ ai informée de la dureté physique et des humiliations de la prison. Mon attitude semblera peut-être dure, mais j ’ éprouvais la responsabilité, à la fois comme mari et comme responsable de la lutte, d ’ être aussi clair que possible sur les conséquences de son action. Moi-même, j ’ avais des sentiments partagés, parce que les préoccupations d ’ un mari et celles d ’ un responsable ne coïncident pas toujours.
Mais Winnie est quelqu ’ un de déterminé et je pense que mon pessimisme n ’ a fait que renforcer sa résolution. Elle a écouté tout ce que j ’ avais à dire et elle m ’ a informé qu ’ elle avait pris sa décision. Le lendemain matin, je me suis levé de bonne heure pour lui préparer son petit déjeuner et nous sommes allés en voiture chez les Sisulu pour retrouver Albertina, la femme de Walter, une des responsables de la manifestation. Puis je les ai conduites à la gare de Phefeni à Orlando où elles devaient prendre le train pour aller en ville. J ’ ai embrassé Winnie avant qu ’ elle monte dans le wagon. Je l ’ ai sentie inquiète mais résolue tandis qu ’ elle me disait au revoir par la portière, et j ’ ai eu l ’ impression qu ’ elle partait pour un long et périlleux voyage dont ni l ’ un ni l ’ autre ne connaissions l ’ issue.
Des centaines de femmes ont convergé vers le service central du pass au centre de Johannesburg. Il y en avait des vieilles et des jeunes, certaines portaient leur bébé sur le dos, d ’ autres des couvertures tribales et d ’ autres encore des robes élégantes. Elles chantaient et marchaient. En quelques minutes, des dizaines de policiers armés les ont entourées, arrêtées, entassées dans des camions et conduites au commissariat de Marshall Square. Elles sont restées de bonne humeur ; pendant que les policiers les emmenaient, certaines criaient aux journalistes : « Dites à Madame que nous n ’ irons pas travailler demain ! » Plus de 1 000 femmes ont
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