Un long chemin vers la liberte
devait s ’ adapter à la vie conjugale et à la maternité. C ’ était alors une jeune femme de vingt-cinq ans qui n ’ avait pas encore entièrement formé sa personnalité. La mienne l ’ était et je me montrais plutôt têtu. Je savais que les autres considéraient souvent Winnie comme « la femme de Mandela ». Trouver sa propre identité dans mon ombre ne lui facilitait assurément pas les choses. Je faisais de mon mieux pour la laisser s ’ épanouir et elle y réussit bientôt sans mon aide.
30
Le 6 avril 1959, jour anniversaire du débarquement de Jan Van Riebeeck au Cap, une nouvelle organisation fut créée ; elle cherchait à rivaliser avec l ’ ANC comme principale organisation politique africaine du pays et refusait la domination blanche qui avait commencé trois siècles plus tôt. Avec quelques centaines de délégués venus de tout le pays, dans la salle commune d ’ Orlando, le Pan Africanist Congress (PAC) se présenta comme une organisation africaniste qui rejetait expressément la dimension multiraciale de l ’ ANC. Comme ceux d ’ entre nous qui avaient formé la Ligue de la jeunesse de l ’ ANC quinze ans plus tôt, les fondateurs de la nouvelle organisation pensaient que l ’ ANC n ’ était pas suffisamment militant, que ce mouvement n ’ avait plus de contact avec les masses et qu ’ il était dominé par des non-Africains.
Robert Sobukwe fut élu président et Potlako Leballo secrétaire national, tous deux anciens responsables de la Ligue de la jeunesse de l ’ ANC. Le PAC publia un manifeste ainsi que le discours de Sobukwe dans lequel il se prononçait pour « un gouvernement des Africains, par les Africains et pour les Africains ». Le PAC déclara qu ’ il avait l ’ intention de renverser la suprématie blanche et d ’ établir un gouvernement africaniste dans ses origines, socialiste dans son contenu et démocratique dans sa forme. Ses responsables désavouaient le communisme et considéraient les Blancs et les Indiens comme des « groupes minoritaires étrangers », qui n ’ avaient aucune place naturelle en Afrique du Sud. L ’ Afrique du Sud pour les Africains et personne d ’ autre.
La naissance du PAC ne fut pas pour nous une surprise. A l ’ intérieur de l ’ ANC, les africanistes exprimaient bruyamment leurs doléances depuis plus de trois ans. En 1957, ils avaient appelé à un vote de défiance dans la direction du Transvaal lors de la conférence nationale, mais ils avaient perdu. Ils s ’ étaient opposés à la grève à domicile le jour des élections en 1958 et leur leader, Potlako Leballo, avait été exclu de l ’ ANC. A la conférence de l ’ ANC, en novembre 1958, un groupe d ’ africanistes avaient déclaré leur opposition à la Charte de la liberté, affirmant qu ’ elle violait les principes du nationalisme africain.
Les responsables du PAC déclarèrent qu ’ ils s ’ inspiraient des principes qui avaient présidé à la fondation de l ’ ANC en 1912, mais leurs conceptions s ’ inspiraient principalement du nationalisme africain exposé par Anton Lembede et A.P. Mda au moment de la fondation de la Ligue de la jeunesse en 1944. Le PAC reprenait les axiomes et les slogans de cette époque-là : l ’ Afrique aux Africains et des Etats-Unis d ’ Afrique. Mais la raison de leur scission était leur opposition à la Charte de la liberté et à la présence de Blancs et d ’ Indiens dans la direction de l ’ Alliance des congrès. Ils s ’ opposaient à la coopération inter-raciale, en grande partie parce qu ’ ils croyaient que les communistes blancs et indiens avaient fini par dominer l ’ ANC.
Je connaissais très bien les fondateurs du PAC. Robert Sobukwe, le premier président, était un vieil ami. C ’ était le gentleman et l ’ universitaire classique (ses collègues l ’ appelaient le « Prof »). Sa façon d ’ accepter de payer pour ses principes forçait mon respect. Potlako Leballo, Peter Raboroko et Zephania Mothopeng étaient tous des amis et des collègues. Je fus stupéfait et un peu atterré d ’ apprendre que mon mentor politique Gaur Radebe avait rejoint le PAC. Je trouvais étrange qu ’ un ancien membre du Comité central du Parti communiste ait décidé d ’ entrer dans une organisation qui, à l ’ époque, rejetait explicitement le marxisme.
Parmi ceux qui avaient lié leur destin au PAC, beaucoup le firent à cause de rancunes et de déceptions personnelles ;
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