Un long chemin vers la liberte
d’un bleu profond de l’Atlantique, nous avons distingué les contours brumeux de Robben Island.
Nous nous sommes posés sur un terrain d’aviation à une extrémité de l’île. C’était un jour sombre et couvert et, quand je suis sorti de l’avion, le vent d’hiver très froid m’a cinglé à travers mon uniforme de prisonnier. Des gardes avec des armes automatiques nous attendaient ; l’atmosphère était tendue mais calme, contrairement à la réception violente que j’avais connue lors de mon arrivée sur l’île, deux ans auparavant.
On nous a conduits vers la vieille prison, une bâtisse de pierre isolée, où on nous a donné l’ordre de nous déshabiller alors que nous étions encore à l’extérieur. C’est une des humiliations rituelles de la vie carcérale : quand on est transféré d’une prison dans une autre, on change d’abord la tenue de l’ancien établissement pour celle du nouveau. Quand nous avons été déshabillés, on nous a jeté l’uniforme kaki de Robben Island.
Les règlements de l’apartheid s’étendaient jusqu’aux tenues des prisonniers. Nous avons tous reçu un short, un pull très léger et une veste de toile. Kathy, le seul Indien, a reçu un pantalon long. Normalement les Africains avaient des sandales avec une semelle faite d’un morceau de pneu, mais on nous a donné des chaussures. Kathy a été le seul à avoir des chaussettes. Les shorts devaient rappeler aux Africains qu’ils étaient des « boys ». Ce jour-là, j’ai mis mon short mais je me suis juré que je ne le porterais pas longtemps.
Les gardiens nous indiquaient avec leurs armes où ils voulaient qu’on aille et ils aboyaient leurs ordres à l’aide d’un seul mot : « Avancez ! », « Silence ! », « Halte ! ». Ils ne nous menaçaient pas en faisant les fanfarons comme lors de mon précédent séjour, et ne manifestaient aucune émotion.
Notre séjour dans la vieille prison n’était que temporaire. Les autorités terminaient un ensemble séparé avec une sécurité maximale pour les prisonniers politiques. Nous n’avions pas le droit de sortir ni d’avoir de contacts avec les autres détenus.
Le matin du quatrième jour, on nous a mis les menottes et on nous a emmenés en camion couvert dans une prison à l’intérieur de la prison. Le nouveau bâtiment était une forteresse en pierre, de plain-pied et rectangulaire, avec au centre une cour au sol de ciment d’environ trente mètres sur trente. Il y avait des cellules sur trois côtés. Le quatrième était un mur de trois mètres de haut avec une passerelle sur laquelle patrouillaient des gardes accompagnés de bergers allemands.
Les trois côtés de cellules s’appelaient sections A, B, et C, et l’on nous a mis dans la section B, sur le côté est. On nous a donné des cellules individuelles situées de part et d’autre d’un long couloir, la moitié d’entre elles donnant sur la cour intérieure. Il y avait en tout une trentaine de cellules. Le nombre total de prisonniers en cellules individuelles était en général de vingt-quatre. Chaque cellule avait une fenêtre de trente centimètres de côté, avec des barreaux métalliques, et une double porte : à l’intérieur, une porte métallique ou une grille avec des barreaux de fer et, à l’extérieur, une épaisse porte de bois. Pendant la journée, seule la porte métallique était fermée ; la nuit, on fermait aussi la porte de bois.
On avait construit les cellules à la hâte et les murs étaient perpétuellement humides. Quand j’en parlai à l’officier qui commandait la prison, il me répondit que nos corps allaient absorber l’humidité. On nous avait donné trois couvertures si légères et si usées qu’on voyait pratiquement à travers. Notre literie se composait d’une natte de sisal ou de paille. Plus tard, on nous a donné un matelas de feutre qu’on plaçait sur la natte de sisal pour avoir un peu plus de confort. A cette époque de l’année, il faisait si froid dans les cellules et les couvertures procuraient si peu de chaleur que nous dormions toujours tout habillés.
Ma cellule était la première du couloir. Elle donnait sur la cour centrale et avait une petite fenêtre à hauteur du regard. J’en parcourais la longueur en trois pas. Quand je m’allongeais, je sentais le mur avec mes pieds et ma tête touchait le ciment de l’autre côté. Elle mesurait environ 1,80 mètre de large et les
Weitere Kostenlose Bücher