Un long chemin vers la liberte
solliciter mon aide.
La loi sud-africaine ne garantit pas à un inculpé l’assistance d’un avocat. Peu d’Africains en avaient les moyens et la plupart ne pouvaient qu’accepter le verdict du tribunal quel qu’il fût. Beaucoup d’hommes de la section générale avaient été condamnés dans ces conditions et beaucoup venaient me voir pour faire appel. C’était la première fois qu’ils parlaient à un avocat.
On me passait en fraude une note d’un prisonnier de F ou de G. Je lui demandais les éléments du dossier, l’accusation, les preuves et les témoignages. A cause de la nature clandestine de ces échanges, l’information arrivait lentement et par bribes. Une consultation qui n’aurait pas pris plus d’une demi-heure dans mon ancien bureau « Mandela et Tambo » pouvait durer un an et plus sur l’île.
Je conseillais à mes « clients » d’écrire une lettre au greffe de la Cour suprême pour demander leur dossier. Je disais au prisonnier d’informer le greffe qu’il disposait de fonds limités, et qu’il aimerait obtenir ce dossier sans frais. Parfois les greffiers se montraient assez aimables pour les fournir gratuitement.
Quand on me donnait le dossier je pouvais organiser l’appel, en me fondant sur des irrégularités juridiques telles que préventions, erreurs de procédure ou manque de preuves. Je rédigeais une lettre au juge et je l’envoyais à l’autre partie. Comme le règlement m’interdisait de préparer un dossier, je demandais au prisonnier de recopier le document de sa main. S’il ne savait pas écrire, comme tant de détenus, je lui disais de trouver quelqu’un pour le faire à sa place.
J’aimais continuer à exercer mes activités professionnelles, et j’ai réussi à faire annuler des condamnations ou à réduire des peines. Ces victoires me récompensaient ; la prison est conçue pour qu’on se sente impuissant, et c’était un des rares moyens de lutter contre le système. Souvent, je ne rencontrais jamais ceux pour qui je travaillais, et parfois, brusquement, un homme qui servait la bouillie de maïs pour le déjeuner me murmurait un merci pour le travail que j’avais fait pour lui.
77
L ’ oppression exercée contre ma femme ne diminuait pas. En 1972, des policiers de la sécurité enfoncèrent la porte du 8115, Orlando West. On jeta des briques par la fenêtre. On tira des coups de feu dans la porte. En 1974, Winnie fut accusée d ’ avoir violé l ’ ordre d ’ interdiction, qui l ’ empêchait de recevoir quelqu ’ un chez elle, hormis ses enfants et son médecin. A l ’ époque, elle travaillait dans un cabinet d ’ avocats et une amie amena Zeni et Zindzi pour la voir pendant l ’ heure du déjeuner. Pour cela, on la condamna à six mois de prison. Elle fut détenue à Kroonstad, dans l ’ Etat libre d ’ Orange, mais son séjour ne fut pas aussi horrible que le précédent à Pretoria. Winnie m ’ écrivit que cette fois elle se sentait libérée en prison et que cela l ’ aidait à réaffirmer son engagement dans la lutte. Les autorités permettaient à Zindzi et à Zeni de venir la voir le dimanche.
Quand Winnie eut retrouvé la liberté, en 1975, nous avons réussi, par des lettres et des messages passés par nos avocats, à mettre au point un plan pour que je puisse voir Zindzi. Le règlement de la prison stipulait que les enfants entre deux et seize ans ne pouvaient pas rendre visite à un prisonnier. Quand je suis entré à Robben Island, tous mes enfants se trouvaient dans cette prison légale des restrictions de l’âge. Derrière l’interdiction, il y avait un raisonnement assez sain : le législateur avait supposé qu’une visite en prison affecterait de façon négative le psychisme sensible des enfants. Mais les conséquences sur les prisonniers étaient sans doute aussi négatives. Ne pas pouvoir voir ses enfants est une source de profonde tristesse.
En 1975, Zindzi eut quinze ans. Le plan consistait à ce que sa mère falsifie ses papiers pour faire croire qu’elle venait d’avoir seize ans et pas quinze. Pour les Africains, les registres d’état civil n’étaient pas tenus de façon très précise et Winnie n’eut pas de difficultés à prouver que Zindzi était née une année plus tôt. Elle demanda une autorisation de visite qu’on lui accorda.
Quelques semaines avant sa visite, en décembre, j’en avais arrangé une autre avec la mère de Winnie. Quand je fus assis devant elle,
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