Un long chemin vers la liberte
je lui dis : « Vous savez, maman, je suis très heureux parce que je vais voir Zindzi. » Ma belle-mère, une ancienne institutrice, me regarda étonnée et me répondit avec un peu d’énervement : « Non, Zindzi ne peut pas venir te voir parce qu’elle n’a pas encore seize ans. »
Je me rendis compte brusquement que personne ne l’avait mise au courant. Un gardien se tenait derrière chacun de nous et j’ai décidé d’ignorer simplement ce qu’elle avait dit. « Très bien, maman, ce n’est rien. »
Mais ma belle-mère est une personne têtue et elle ne laissa pas les choses se passer ainsi. « Eh bien, Mkonyanisi – un terme affectueux pour dire gendre en xhosa, qu’elle employait toujours pour moi –, tu as fait une grave erreur, parce que Zindzi n’a que quinze ans. »
Je lui ai fait les gros yeux pour la prévenir et elle a dû saisir le message parce qu’elle n’en a plus reparlé.
Je n’avais pas revu Zindzi depuis qu’elle avait trois ans. Elle connaissait son père grâce à de vieilles photos et non par ses souvenirs. Ce matin-là, j’ai mis une chemise propre et j’ai apporté plus de soin que d’habitude à ma toilette : c’était un peu de l’orgueil, mais je ne voulais pas apparaître comme un vieil homme aux yeux de ma plus jeune fille.
Je n’avais pas vu Winnie depuis plus d’un an, et j’ai été heureux de me rendre compte qu’elle allait bien. Mais c’est avec un immense plaisir que j’ai constaté que ma fille était devenue une belle jeune femme et qu’elle ressemblait à sa mère, également belle.
Au début, Zindzi s’est montrée timide et hésitante. Je suis sûr que ce ne devait pas être facile pour elle de voir un père qu’elle n’avait jamais vraiment connu, un père qui ne pouvait l’aimer que de loin, qui semblait appartenir au peuple et non à elle-même. Dans son for intérieur, elle devait avoir nourri de la rancune et de la colère envers un père absent pendant son enfance et son adolescence. Je me rendais compte que c’était une jeune femme forte et fière, comme l’avait été sa mère à son âge.
Je me doutais bien qu’elle se sentirait mal à l’aise et je fis tout mon possible pour détendre l’atmosphère. Quand elle arriva, je lui dis : « Tu as vu ma garde d’honneur ? » en montrant les gardiens qui me suivaient partout. Je lui posai des questions sur sa vie, ses études et ses amis, puis j’essayai de lui rappeler le passé qu’elle avait à peu près oublié. Je lui dis que je me souvenais des dimanches matin à la maison où je la faisais sauter sur mes genoux pendant que sa mère préparait un rôti dans la cuisine. Je me rappelais de petits incidents à Orlando quand elle n’était qu’un bébé et je lui dis qu’elle pleurait rarement. A travers la glace, je la voyais qui retenait ses larmes.
Il n’y eut qu’une note tragique pendant cette visite : Winnie m’apprit que Bram Fischer était mort d’un cancer peu de temps après sa sortie de prison. La mort de Bram me bouleversa. Le gouvernement n’en était en rien responsable, mais il n’en restait pas moins que le harcèlement incessant dont il avait été l’objet avait permis à la maladie d’avoir le dessus. L’Etat le poursuivit même après sa mort – il confisqua ses cendres après la crémation.
Bram était un puriste et, après le procès de Rivonia, il pensa qu’il servirait mieux la lutte en passant dans la clandestinité et en menant la vie d’un proscrit. Il était accablé de voir que les hommes qu’il défendait au tribunal allaient en prison alors qu’il continuait à vivre librement. Pendant le procès, je lui avais conseillé de ne pas prendre ce chemin, en insistant sur le fait qu’il servait mieux la lutte au tribunal, où les gens pouvaient voir un Afrikaner, fils d’un président de tribunal, se battre pour les droits des plus faibles. Mais il ne pouvait laisser les autres souffrir en restant libre. Comme le général qui combat au front à côté de ses soldats, Bram ne voulait pas demander aux autres un sacrifice qu’il n’était pas disposé à faire.
Il était passé dans la clandestinité alors qu’il se trouvait en liberté sous caution et, en 1965, on l’avait arrêté et condamné à la prison à vie pour conspiration en vue de commettre des sabotages. J’avais essayé de lui écrire en prison, mais les règlements interdisaient toute communication entre détenus. Quand
Weitere Kostenlose Bücher