Un long chemin vers la liberte
l ’ idée de cette campagne à Lusaka, et elle représentait la pierre angulaire d ’ une nouvelle stratégie ayant pour but de mettre notre cause au premier plan des préoccupations des gens. L ’ ANC avait décidé de personnaliser l ’ action entreprise pour notre libération en centrant la campagne sur une seule personne. Il est évident que les millions de gens qui par la suite l ’ ont soutenue ne savaient absolument pas qui était Nelson Mandela. (On m ’ a dit que lorsque les affiches « Free Mandela » [Libérez Mandela] sont apparues à Londres, la plupart des jeunes ont cru que mon prénom était « Free ».) Sur l ’ île, quelques voix se sont élevées contre la personnalisation de la campagne car certains pensaient que c ’ était une trahison de l ’ esprit collectif de l ’ organisation, mais le plus grand nombre des prisonniers se rendaient compte qu ’ il s ’ agissait d ’ une technique pour réveiller les gens.
L ’ année précédente, j ’ avais reçu le prix des Droits de l ’ homme Jawaharlal Nehru, en Inde, autre preuve de la résurgence de la lutte. On m ’ avait bien sûr refusé l ’ autorisation d ’ assister à la cérémonie, ainsi qu ’ à Winnie, mais Oliver reçut le prix en mon absence. Nous avions le sentiment d ’ une renaissance de l ’ ANC. Umkhonto we Sizwe intensifiait sa campagne de sabotages, devenus plus élaborés. En juin, MK fit sauter des bombes dans la grande raffinerie de Sasolburg, au sud de Johannesburg. MK organisait un attentat chaque semaine dans un site stratégique. Des bombes explosèrent dans des centrales électriques à l ’ est du Transvaal, dans les commissariats de police de Germiston, Daveyton, New Brighton et d ’ ailleurs, et dans la base militaire de Voortrekke-rhoogte, près de Pretoria. A chaque fois, il s ’ agissait d ’ endroits stratégiques très significatifs, ce qui attirait l ’ attention et inquiétait l ’ Etat. Le ministre de la Défense, le général Magnus Malan, soutenu par P.W. Botha, inaugura une politique d ’ « assaut général » (total onslaught), qui se résumait à une militarisation du pays pour s ’ opposer à la lutte de libération.
La campagne pour la libération de Mandela avait aussi un aspect plus agréable. En 1981, j’ai appris que les étudiants de l’université de Londres m’avaient désigné comme candidat au poste honorifique de chancelier de l’université. Il s’agissait assurément d’un très grand honneur, les autres candidats étant la princesse Anne et le syndicaliste Jack Jones. J’ai recueilli 7 199 suffrages, mais ai été battu par la fille de la reine. J’ai écrit à Winnie, à Brandfort, pour lui dire que j’espérais que ce scrutin avait transformé pendant un instant son humble logis en château et que ses pièces minuscules étaient devenues aussi grandes que la salle de bal de Windsor.
La campagne ranima nos espoirs. Pendant la dure période du début des années 70, quand l’ANC semblait disparaître dans l’ombre, nous avions dû nous forcer pour ne pas nous laisser aller au désespoir. Nous avions fait beaucoup d’erreurs ; nous avions pensé que, dans les années 70, nous connaîtrions une Afrique du Sud démocratique et non raciale. Pourtant, en entrant dans la décennie suivante, mes espoirs reprenaient vigueur. Certains matins, je sortais dans la cour et toutes les créatures vivantes, les mouettes et les bergeronnettes, les petits arbres et même les brins d’herbe semblaient sourire et briller dans le soleil. C’est dans de tels moments, quand je percevais la beauté de ce petit recoin de l’univers, que j’étais persuadé qu’un jour mon peuple et moi serions libres.
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Comme mon père avant moi, j ’ avais été formé pour devenir le conseiller du roi des Thembus. J ’ avais choisi une autre voie, mais j ’ essayais quand même, à ma façon, d ’ assumer les responsabilités qui m ’ étaient échues. Depuis la prison, je faisais tout mon possible pour rester en contact avec le roi et je le conseillais du mieux que je pouvais. En vieillissant, je pensais de plus en plus aux vertes collines du Transkei. Je n ’ y retournerais jamais sous les auspices du gouvernement, mais je rêvais qu ’ un jour je rentrerais dans un Transkei libre. Aussi est-ce avec une véritable consternation que j ’ appris, en 1980, que le roi, Sabata Dalindyebo, le chef suzerain des Thembus, avait été déposé par mon neveu K.D.
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